Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
revue philosophique

surtout s’il se ramène au plaisir et s’il y entre, comme l’auteur le reconnaît, un facteur essentiellement individuel, est susceptible de devenir objet de science.

La première partie est la plus étendue, mais non la plus intéressante ni la plus originale. L’auteur a en vue d’établir, contre Schopenhauer, la possibilité de plaisirs positifs. Nous aimerions à pouvoir dire que la lecture de ces 200 pages justifie cette thèse ipso facto. Mais, malgré quelques analyses psychologiques intéressantes, l’ensemble présente un développement bien touffu, des divisions surabondantes, une marche pénible à suivre.

Le point de départ de l’auteur est que le besoin, n’étant pas senti en lui-même, mais en tant qu’il est satisfait ou contrarié, le plaisir et la douleur sont deux produits contraires et indépendants l’un de l’autre ; le plaisir a donc une existence propre ; il est quelque chose de positif. Si, comme Schopenhauer le veut, le plaisir et la peine avaient un principe unique, la volonté, notre état de sensibilité serait une résultante simple et générale de plaisir ou de peine. Or cela n’est pas, il y a des plaisirs et des peines distincts, séparés, qui ne se fondent pas en un état sensible total. C’est la justification de cette thèse générale que, sous la rubrique de possibilité interne des biens, M. Döring poursuit dans l’étude détaillée des besoins. La classification qu’il nous donne de ceux-ci ne nous paraît guère systématique ; elle est en partie fondée sur la nature intrinsèque des besoins, en partie sur la distinction de leurs objets et des circonstances de leur application. Mais il y a bien des détails qui sont d’un psychologue ingénieux et curieux : notons par exemple l’étude du besoin inhérent à tout sentiment de se traduire au dehors, celle des besoins psychiques formels et des différentes sortes d’ennui qui y correspondent, celle des différentes formes et des différents degrés de l’estime de soi, etc. Seulement on peut douter que les besoins que M. Döring nous présente comme primitifs le soient tous véritablement. La question à son importance en ce qui concerne le besoïn de s’estimer soi-même, dont il fera le fondement de son eudémonisme. Ce besoin, dit-il, ne vient pas de l’amour de soi, parce qu’on ne peut s’aimer qu’en raison de la valeur qu’on se reconnaît. N’ÿ aurait-il pas malentendu et n’est-ce pas parce qu’on s’aime qu’on veut pouvoir s’estimer ? Il semble bien que nous nous aimons parce que c’est nous, avant de nous aimer parce que nous sommes ceci ou cela.

La possibilité externe des biens est l’objet d’une seconde division ; il s’agit ici des conditions qui entravent ou facilitent la satisfaction des besoins. Le caractère illimité de certains besoins notamment les condamne à n’être jamais entièrement satisfaits, et rend inévitable une certaine dose de résignation ou de regret. On pourrait bien dire qu’il en est ainsi en un sens de tous les besoins, dès qu’ils deviennent passion. Car c’est le propre de la passion d’aller au delà du besoin et au-devant du désir, parce que ce n’est plus la satisfaction du besoin qu’elle a en vue, mais le plaisir dérivé. L’ivrogne n’attend pas la soif et boit au delà