Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
EVELLIN.possibilité d’une méthode

Et puis, lorsqu’on part de l’être, il faut ou supposer qu’il est donné en intuition, ou reconnaître qu’on n’en peut rien savoir que par voie d’induction et par raisonnement.

Or, pour écarter la première hypothèse, ne suffit-il pas de l’ébauche d’analyse que nous avons déjà faite du phénomène ? Le monisme idéaliste, loin d’y contredire, serait sur ce point d’accord avec nous. Il est une vérité que les philosophes de cette école ont mise en pleine lumière et, selon nous, définitivement acquise à la spéculation métaphysique, c’est que le réel ne se voit pas. Si l’être, au lieu d’être la raison nécessaire mais invisible de ce qui se voit, était donné lui-même en intuition, c’est qu’il aurait pénétré dans la conscience, et serait, au même titre que le fait sensible, devenu fonction de la pensée ; alors ce ne serait plus l’être, mais le phénomène.

L’esprit humain, quelles que soient ses ambitions, est pour jamais enfermé dans ce dilemme : voir ce qui n’est pas réellement, ou croire, pour des raisons dérivées de l’intuition, ce qu’il est tenu de poser comme réel.

Aussi le demi-savant et l’ignorant qui n’entendent croire que ce qu’ils voient se condamnent-ils eux-mêmes à ne croire que des chimères, puisque le phénomène, en définitive, est seul perçu. La philosophie a compris tardivement, la religion a senti de bonne heure et comme d’instinct, que la croyance et l’intuition sont incompatibles, et que l’objet de la croyance vaut mieux que celui de l’intuition, nécessairement enfermée dans le relatif.

Reste la seconde hypothèse, la seule sérieusement discutable. L’être est, mais son essence échappe aux prises directes de la pensée et défie l’intuition. On ne peut plus alors proposer qu’une méthode d’investigations hasardeuses et de tâtonnements qui risquerait sur sa nature quelques-unes des suppositions les plus plausibles pour voir ensuite si elles cadrent avec les faits et peuvent se justifier par les résultats ; mais une telle méthode, d’un maniement toujours difficile, ne Saurait avoir d’emploi que dans les cas où le problème est simple et nettement circonscrit, parce qu’alors les hypothèses qui n’aboutissent pas peuvent être aisément et rapidement écartées. Dans le cas présent, au contraire, une hypothèse c’est toute une philosophie, et le travail d’une existence suffit à peine à la mettre au jour. Est-on bien sûr, d’ailleurs, que dans cette manière*de concevoir le problème, chaque tentative nouvelle va marquer une étape franchie et représenter un progrès ? On peut craindre plutôt que, faute d’un plan concerté, les hypothèses ne se répètent, ou que, si elles diffèrent, elles ne se multiplient sans résultat. À supposer même que