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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/394

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c’est leur maître qu’ils voient. À la vue des amis ou des ennemis, les bêtes devraient pour le moins former des concepts qui permettraient à leur âme sensitive de reconnaître les uns et les autres. Or, cela ne se peut que par une force intérieure, qui est la perception, postérieure à la sensation. Que si l’on admet la ressemblance entre l’animal et l’homme, c’est par le même procédé que ce dernier que la bête arrivera à connaître l’ami et l’ennemi. Il faudra donc qu’elle ait la faculté de discernement. S’il en est ainsi, la raison appartient à l’animal, c’est-à-dire la force de distinguer et de lier.

Il en est qui refusent le raisonnement à l’animal, et qui lui accordent la sensibilité et la connaissance par simple impression, se fondant sur un passage d’Aristote (3e livre de l’Âme), qui attribue deux opérations à l’entendement, l’impression des objets simples, l’analyse et la synthèse. C’est la fausse interprétation de ce texte qui a produit toutes les erreurs touchant la connaissance des bêtes. Il est faux que la simple impression par laquelle on affirme qu’ils connaissent les choses extérieures par les sens suffise à les mouvoir. Chez nous, c’est l’intelligence pratique ; chez les bêtes, c’est la connaissance sensitive qui précède le mouvement. Ockam reconnaît à l’homme deux âmes, l’une sensitive, l’autre intellective. Otez celle-ci, et vous aurez l’animal.

Si l’on explique les actes des bêtes par l’instinct, faudra-t-il admettre aussi la connaissance préalable de l’objet ? Si l’on jugeait des actes extérieurs des animaux sans s’arrêter aux considérations qu’ils impliquent, qui ne serait tenté, en lisant l’histoire naturelle, d’attribuer aux bêtes plus de raisonnement qu’à certains individus de notre espèce ? Les anecdotes que l’auteur emprunte à Pline montrent assez son scepticisme. Des animaux capables de raisonnements aussi subtils auraient plus tôt fait d’apprendre le langage humain. Gomez Pereira ne paraît pas avoir connu les animaux mieux que Descartes dont l’ignorance sur ce point rendit faciles les réfutations du P. Pardies et de La Fontaine. Il nie que les animaux attachent aux mots le même sens que nous. Après avoir ri des historiettes de Pline, il semble qu’il veuille se moquer du lecteur en développant cette thèse : Bruta si sentirent, universa naturæ benignitas aboleretur. Si les bêtes nous ressemblaient par la sensibilité, quoi de plus atroce que les mauvais traitements infligés aux bêtes de somme ? Quoi de plus cruel que les courses de taureaux, imitées des jeux sanglants du cirque ? La Providence elle-même serait en cause, s’il était démontré que la gent animale a dû subir les conséquences du péché originel. Pourquoi avoir étendu aux bêtes inno-