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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/119

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société de psychologie physiologique

prison de Blois — vers 1860 — dans le quartier des détenues. Son cas est des plus troublants, pour employer le mot h la mode.

« Comment, Marie, vous ici ? et à quel sujet ? » lui demandai-je.

Confuse, elle n’osait répondre. Je, me tournai vers la religieuse-gardienne, qui répondit pour elle :

« Il paraît qu’elle a commis un vol chez la maîtresse qu’elle sert actuellement.

— C’est faux, monsieur le docteur, je le jure ! » s’écria la pauvre fille en fondant en larmes.

Me souvenant alors qu’elle était somnambule, je demandai à la religieuse si elle était tranquille au dortoir.

« Oh ! il s’en faut de beaucoup, monsieur. Elle se lève, réveille ses compagnes, cherche à ouvrir les fenêtres… On n’en peut pas venir à bout.

— C’est bon », dis-je, au grand étonnement des prisonnières et de leur gardienne. Et je priai cette dernière de faire venir Marie dans son cabinet.

Là, je fis asseoir l’accusée, très émue, et lui appliquai la main sur le front, en lui ordonnant de dormir, comme je l’avais vu faire à mon confrère. Après quelques minutes de calme, je lui demandai si elle se rappelait le motif qui l’avait fait amener en prison.

« Mais certainement…, et ce n’était pas pour voler madame…, au contraire. »

Alors elle raconta qu’une nuit, s’étant levée, comme cela lui arrive souvent, il lui était venu à l’idée de ranger les bijoux de sa maîtresse, qu’elle trouvait trop exposés à être volés dans le tiroir d’un meuble du rez-de-chaussée, où l’on faisait attendre les visiteurs ; qu’elle les avait enlevés de là et portés dans un secrétaire de la chambre de réserve, au premier étage, où ils sont bien plus en sûreté ; mais que, par une fatalité qu’elle ne s’expliquait pas, elle ne se souvenait de rien de tout cela lorsqu’elle est éveillée, de sorte qu’elle n’avait pu en prévenir sa maîtresse, comme elle s’était promis de le faire ; alors celle-ci, ne trouvant plus ses bijoux à leur place, l’avait soupçonnée de les avoir volés. Et des larmes et des sanglots suivirent cette révélation, — que je m’empressai de lui faire connaître dès que je l’eus réveillée, et à cette nouvelle une explosion de joie se mêla au déluge de pleurs. Vérification faite, le récit de la somnambule fut reconnu véridique, et elle fut rendue à la liberté.

Supposera-t-on que tout cela était comédie et que la malheureuse fille avait déplacé les bijoux parce qu’il lui semblait plus facile de les faire disparaître après qu’on les aurait crus volés par des étrangers ? Mais, dès qu’elle a été incarcérée, il n’y avait plus lieu de dissimuler ; elle n’aurait pas manqué de déclarer qu’elle était somnambule — ou du moins qu’on le lui avait souvent affirmé — et que, peut-être, elle avait accompli en dormant l’acte dont on lui faisait un crime. Pas du tout : elle se résignait dans son amnésie, ne comprenant rien à l’accusation dirigée contre elle.