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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/137

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g. tarde. — l’art et la logique

est en avant de l’autre. Il se peut, en effet (en est-il ainsi à notre époque ?) que la morale continue à s’appuyer sur des dogmes vieillis quand déjà l’art, anticipant l’avenir, se tourne instinctivement vers quelque conception plus large ou plus profonde du but de la vie, qui servira de base à la morale de demain. — Mais à tous les âges vraiment logiques, l’art n’a été que le traducteur et l’enlumineur de la morale. La sainteté, au moyen âge, était à la fois la beauté et la moralité suprêmes. Ne reviendrons-nous pas à quelque haute conciliation pareille ?

II

Dans tout ce qui précède, j’ai préjugé, on le voit, que l’art est un moyen pour atteindre un but, et que le jugement d’approbation esthétique est, au fond, un jugement de convenance téléologique. Si pourtant l’on en croit les esthéticiens raffinés qui en ont esquissé la métaphysique, l’art n’aurait d’autre fin que lui-même. Autrement dit, une statue, un tableau, un monument, en tant qu’œuvre d’art (non, bien entendu, en tant que meuble ou maison) serait sans but. S’il en était ainsi, les appréciations des connaisseurs ou du public sur le plus ou moins de beauté d’une œuvre artistique seraient purement arbitraires, car il n’est pas possible de leur trouver un autre fondement que le degré d’intensité ou de généralité du besoin auquel cette œuvre a répondu et le degré de force ou de justesse de cette réponse. De fait, si nous jetons un coup d’œil sur l’art comparé des diverses époques anciennes, au lieu de nous borner à étudier celui de la nôtre, où le besoin auquel l’art répond est si général et si profond que personne n’en a plus la conscience nette, nous apercevons sans trop de peine que l’œuvre d’art a eu historiquement des buts véritables extérieurs à elle-même, et des buts variables d’âge en âge. Si l’on n’a égard à la distinction de ces fins successives et différentes, toujours mal discernées des contemporains, que l’artiste a poursuivies, on n’aura nulle intelligence du développement d’un art quelconque et de la succession de ses phases, énigme dont on demanderait en vain le mot à une soi-disant loi de l’évolution artistique. Quand, déployé exceptionnellement, par les causes mêmes qui lui ont donné satisfaction, un besoin est devenu très intense et très répandu au sein d’un peuple et d’une génération de ce peuple, il s’impose inconsciemment aux architectes, aux peintres, aux poètes, aux musiciens. À une époque théocratique ou essentiellement religieuse encore, parce que l’abondance des mythes et des légendes y développe la passion du merveilleux.