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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/143

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g. tarde. — l’art et la logique

que la beauté des femmes, chose naturelle, a suscité les précoces élans de l’art et de la poésie, depuis les temples et les palais égyptiens, chaldéens, aztèques, jusqu’au sanctuaire de Delphes et à Notre-Dame de Paris ; depuis le poème de Pentaour et les hymnes de David jusqu’à l’Iliade. Seulement, quand, à défaut d’un art original, amant et créateur à la fois d’un beau nouveau et vraiment sien, un peuple fait de l’éclectisme, au milieu d’arts étrangers dont les inspirations lui échappent ou se combattent en lui, la tendance voluptueuse qui leur est commune, quoique secondaire et accessoire en chacun d’eux, est la seule qu’il comprenne ou qu’il accueille, et voilà, peut-être, en partie, l’explication de la voie sensuelle où s’est engagé l’art hybride de la Phénicie, et aussi bien notre littérature contemporaine. Les beautés naturelles, ou de moins en moins artificielles, se dégagent à la longue du conflit des arts, à peu près comme les vérités naturelles, scientifiques, se dégagent du conflit séculaire des philosophies et des religions. Encore est-ce toujours à travers les lunettes colorées de la mode et de la coutume, des méthodes et des théories préconçues, que ces beautés ou ces vérités dites naturelles nous apparaissent. Mais ce repos de l’art dans le culte du plaisir, ce repos de la pensée dans la science pure, n’est jamais que momentané. Et d’ailleurs, même ici, éclate la magie bienfaisante, la magie blanche de l’art. L’amour qui est certainement un principe de téléologie individuelle, puisqu’il concentre aussi longtemps qu’il dure, tous les vœux, toutes les démarches, toutes les actions de l’individu vers un même but, l’amour est une source de discordes entre les hommes, un trouble apporté à la collaboration sociale. Or l’art, même né de l’amour, est toujours une cause d’harmonie humaine. Tout ce qui paraît beau, tout ce qui suscite l’amour, il le chante ; mais, en le chantant, il suscite un nouvel amour, un beau nouveau, lui-même ; et, en reportant sur lui-même les désirs que ses objets excitent, il les accorde souverainement. Toutes les réalités qui font envie, les beaux pays qu’on ne verra jamais et dont on rêve, les belles femmes qu’on pleure de ne pas posséder, les belles chasses, les belles résidences, les belles fêtes qui font soupirer le pauvre, les grandeurs historiques qui humilient le plébéien, tout cela est peint, décrit, célébré par l’art, et ses peintures sont si charmantes que, loin de paraître un faible reflet de leurs modèles, elles semblent seules donner à ces réalités leur raison d’être ; et la résignation calme suit cette contemplation heureuse ou cette joyeuse production. Un public populaire encombre nos musées où il se complaît à l’image des monarchies ou des aristocraties dans leur splendeur, et il sort de là moins disposé à la révolte et à la haine. L’art pur consiste à