Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
j. delbœuf. — pourquoi mourons-nous ?

avoir expliqué bien des phénomènes lorsqu’ils ont invoqué l’atavisme ou la lutte pour la vie, surtout s’ils l’ont invoquée en anglais. Struggle for life, struggle for lifer ! rien ne résiste à ce Sésame, ouvre-toi ! qui doit nous livrer tous les mystères de la biologie et de la sociologie. »

J’ajouterai, en manière de parenthèse, que sur des choses que Darwin lui-même cite comme difficiles à expliquer, les disciples n’ont pas eu les hésitations du maître. C’est ainsi que l’on voit Darwin avoir recours à des considérations complexes et faire de longs circuits pour rendre raison de la queue de la girafe si bien conformée en manière de chasse-mouche, tandis que certains disciples, y allant plus résolument, soutiendront qu’un rudiment de queue présente déjà une certaine utilité qui tendra à l’allonger, comme si une queue d’un centimètre pouvait chasser les mouches. Pour expliquer le mimétisme, par exemple celui de certains locustides qui ressemblent à des feuilles, ils n’éprouveront aucun embarras à dire qu’une sauterelle dont les cuisses ont reçu un premier degré d’élargissement, échappe déjà plus facilement à la vue, et que c’est par là que, dans ces espèces de locustides, les cuisses iront en s’élargissant toujours davantage jusqu’à ressembler à des feuilles.

Tout cela est par trop simple. La ressemblance avec une feuille ne peut devenir protectrice que lorsqu’elle existe et non lorsqu’elle commence, et encore, à la condition que l’animal aille vivre sur des arbrisseaux à feuilles semblables. Aussi est-il bien plus rationnel d’admettre que l’élargissement, des cuisses est dû à une cause soit climatérique, soit pathologique[1], soit alimentaire, et qu’un jour est arrivé où l’animal a profité de cette modification pour se dissimuler. C’est à partir de ce jour seulement que la sélection naturelle a pu agir.

La queue de la girafe a poussé probablement par une cause bien étrangère à l’usage que l’animal en fait ; à un certain moment elle pouvait servir à chasser les mouches, et alors elle s’est développée et modifiée en conséquence. La queue est inutile aux rats, les gerboises s’en aident pour le saut, elle sert de truelle aux castors ; elle embarrasse les lézards ordinaires, les crocodiles Font utilisée pour nager, les caméléons pour s’accrocher aux arbres.

  1. M. Patrick Geddes, professeur à l’université de Dundee (Écosse), accorde une grande importance à ce genre de cause, et il pense que les variétés pathologiques ont une tendance marquée à se propager aux dépens des espèces saines. La division des feuilles du palmier est due à un défaut de nutrition, et les palmiers se sont propagés dans toutes les contrées tropicales.M. Geddes me pardonnera d’avoir fait usage de ses vues touchant les variations d’origine pathologique.