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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/290

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je serais peut-être disposé à le croire, les rattacher à une altération particulière de l’intelligence, un trouble dans la connaissance des hommes, dans cette perception de l’humanité, au moins aussi importante que la perception du monde extérieur ? Ce serait là des recherches bien importantes aussi bien pour la morale expérimentale que pour la psychologie. Mais il ne faudrait les aborder qu’en étudiant dans le détail de véritables persécutés et non une personne chez qui ces idées sont certainement épisodiques. Elles doivent se rapporter à quelque scène de famille que nous connaissons mal. Une de ces idées qui s’est développée sous nos yeux nous montre combien le hasard des circonstances joue ici un grand rôle. Une jeune fille venait d’être amenée dans la même salle que Marcelle, et comme elle était peu malade, au rebours de la conduite ordinaire des aliénés, elle cherchait à lier connaissance avec ses voisines. Cette personne s’approcha de Marcelle et voulut lui causer, mais elle se heurta à la mauvaise humeur de notre malade et se mit à dire tout haut : « Oh ! mademoiselle, comme vous me faites de vilains yeux, vous me faites peur ! » cela suffit pour modifier les crises de Marcelle. Pendant plusieurs jours ses voix lui répétaient : « Tout le monde a peur de toi, tout le monde fuit, etc. » Les idées de persécution relatives à ses parents ont dû avoir une origine du même genre.

Tels sont donc les principaux phénomènes qui remplissent la crise de nuage ; nous avons insisté sur cet état parce qu’il nous paraît jouer un grand rôle dans la maladie et qu’il se présente rarement avec autant de netteté que chez Marcelle.

La crise de nuage est terminée, Marcelle se réveille lentement en soupirant et en pleurant, et peu à peu elle reprend son aspect normal et retourne à ses occupations. En apparence toutes ces hallucinations, ces idées fixes, ces commandements qui ont rempli l’esprit pendant la crise sont effacés. Marcelle ne peut plus, malgré ses efforts, en retrouver le souvenir pour nous les raconter. Mais nous savons que dans l’esprit humain rien ne se perd et qu’il y a des traces persistantes après les crises, après les rêves, comme après les somnambulismes. En réalité les phénomènes qui se sont passés pendant le nuage ont une influence extrêmement grave, même sur les intervalles de pensée lucide.

Nous remarquerons d’abord certaines attitudes, certains mouvements à peu près complètement subconscients, qui persistent même après le réveil. Quand elle a rêvé à ses idées de persécution, elle reste sombre, regarde les gens de travers, sursaute de frayeur, quoiqu’elle affirme n’avoir peur de rien et n’être pas en colère. Un jour,