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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/309

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g. tarde. — l’art et la logique

rocher, fleuve, personnage, ou bien chaque groupe d’objets pareils indistincts séparément, joue dans un tableau un rôle comparable à celui d’un motif dans une mélodie, ou d’une strophe dans une pièce de vers. Chacun de ces êtres ou de ces groupes d’êtres, en effet, est peint de manière à attirer un certain degré d’attention et à la satisfaire complètement dans la mesure où elle a été excitée. Voilà pourquoi la plus simple silhouette de la moitié ou du quart d’un personnage épisodique est, à mon sens, un tout partiel, une phrase incidente complète en soi, quoique secondaire. À mesure que la peinture progresse, elle distingue mieux les plans, c’est-à-dire étend et précise davantage l’échelle des degrés d’attention dentelle dispose et qu’elle distribue entre les parties de ses œuvres, de même que le progrès du langage établit des distinctions chaque jour plus nettes et plus étendues entre les propositions principales et incidentes. L’architecture aussi a ses phrases ; elle pose et doit poser au spectateur ces questions : « Qu’est-ce que cela ? temple, palais, caserne ? À quoi bon ? » Il faut que la réponse se trouve écrite sur la façade, sur l’extérieur de l’édifice, toujours divisé en parties distinctes, ouvertures, chapiteaux, fûts, moulures, etc. Seulement, si la netteté symétrique des phrases est ici plus marquée que dans un tableau, leur variété est infiniment moindre. Par sa dyssymétrie ou sa symétrie voilée, par son abondance instructive et souple, la peinture est comparable à la belle prose ; l’architecture répondrait plutôt à la versification. Quant à la sculpture, rien de plus simple. Chaque statue est une phrase unique, une pensée détachée. De là peut-être la stérilité relative de cet art, de même que celle du genre aphorislique, et leur résistance commune aux efforts faits pour les renouveler.

N’est-ce pas abuser de la métaphore, me dira-t-on, que d’assimiler une femme portant une cruche dans un tableau du Poussin, ou une tête du Corrège, à un motif de Mozart ? Non, rien de plus comparable. Les objets naturels représentés par le peintre sont, répétonsle, des variations de types naturels, de thèmes que le peintre n’a pas inventés, il est vrai, mais qu’il s’approprie en les variant puisque leur seule raison d’être est d’être variés. Le mérite éminent du musicien est de créer ses propres thèmes à lui, au lieu de se borner à diversifier des modèles extérieurs. Du fond de son âme, il tire ces créatures idéales, ces nouvelles espèces musicales qui surprennent et ravissent son auditoire autant que l’apparition d’une flore nouvelle émerveille le voyageur. Mais de ces thèmes aussi il est vrai de dire qu’ils ont pour fin essentielle leurs propres modulations. Voilà pourquoi l’artiste qui les crée leur dit toujours : Multipliez-vous, et les diversifie lui-même en les reproduisant plusieurs fois au cours de