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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/313

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g. tarde. — l’art et la logique

industrielle, n’importe, que l’œuvre d’art parvenue à son complet épanouissement, c’est-à-dire le drame.

Il reste cependant à expliquer la raison d’être des œuvres d’art qui sont des processions et non des luttes. À ce propos, je me souviens avoir lu cette remarque judicieuse que les procédés littéraires de Victor Hugo se réduisaient à deux, l’antithèse et l’énumération. Rien de plus vrai ; mais précisément il me semble qu’en cela le grand poète a montré le caractère compréhensif de sa poésie, puisque ces deux aspects de son talent expriment les deux types de l’art, complémentaires l’un de l’autre. Remarquons que toutes les rencontres historiques d’idées et de passions, et des personnages où elles s’incarnent, sont des luttes ou des combinaisons. Or, ces dernières rencontres, sommes des découvertes, des initiatives fécondes, sont susceptibles de se produire entre un nombre indéfini de termes et non entre deux termes seulement. Il n’est pas une théorie scientifique qui ne soit un enchaînement d’expériences et d’observations nombreuses se confirmant mutuellement ; il n’est pas une mythologie, ou une théologie, qui ne soit une suite de divinités fraternelles exprimant une même conception de l’univers, ou une suite de dogmes inspirés par un même esprit ou un même dessein. Il n’est pas une législation qui ne soit une ramification d’idées juridiques de même orientation et de même sève poussées successivement sur le même tronc politique. — Au contraire, sur un champ de bataille, il n’y a jamais que deux armées en présence, — dans une élection, il n’y a jamais que deux partis, — dans une rivalité artistique, il n’y a jamais que deux écoles en lutte, etc. Ainsi donc, en histoire comme dans Victor Hugo, tout n’est qu’énumération ou antithèse. Cela se conçoit d’après notre manière de voir, car l’énumération artistique est le développement de la victoire qui suit l’antithèse et le combat. Après la bataille, le triomphe, déroulement orgueilleux et harmonieux des forces dégagées par la soumission du vaincu. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les civilisations et les religions triomphantes assises dans la sécurité de leur puissance, s’exprimer en des œuvres processionnelles, telles que la trilogie du Dante ou le second Faust, ou les frises du Parthénon.

Mais revenons. L’évolution de l’art pur commence par l’épopée, par le récit, et se termine par le drame. Entre ces deux termes, du reste si semblables l’un à l’autre, éclosent toutes ses formes différentes. Si l’on en croit Spencer[1] pourtant, tous les arts, y compris la littérature écrite (bien mal aisée à séparer, soit dit en passant, de la

  1. Voir ses Premiers Principes, trad. franc., p. 372 et suiv., p. 375 et suiv.