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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/326

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homme plutôt que plante ou caillou. Cette nature, prise à l’état isolé, chacune des propriétés qui la constituent : voilà l’idée. L’idée n’est autre chose que le contenu logique de la réalité concrète. » (P. 119) Il est vrai que ce contenu n’est pas séparable de la réalité concrète qui l’enveloppe. Ainsi quand l’auteur considère le marbre noir de sa cheminée (p. 120), il n’y voit pas l’existence distincte de la propriété d’être noir, comme dans un mot écrit les lettres sont distinctes les unes des autres ; mais, malgré cela, les qualités ainsi inséparables ne se confondent nullement entre elles, et, dans l’homme individuel, doivent se retrouver, même pour le sens, tous les traits dont l’ensemble constitue la nature de l’homme en général. M. Piat ne veut à aucun prix isoler l’une de l’autre l’idée et l’image. Ce n’est pas de cela qu’on le blâmera ; mais on pourra lui faire observer que, ce principe posé, il n’y a plus, pour y rester fidèle, que deux parties à prendre : ou bien refuser à nos représentations la généralité, pour la retrouver ensuite dans l’usage que nous ferons de ces mêmes représentations réduites par là à n’être qu’individuelles ; ou bien conserver la généralité à la fois à l’idée et à l’image, — en supposant qu’il soit possible de ne pas réduire purement et simplement la première à la seconde, — c’est-à-dire tomber dans le conceptualisme vulgaire qu’a si bien réfuté Berkeley. Comme il n’y a rien dans la thèse de M. Piat qui se rapporte à la première solution, c’est nécessairement la seconde qui s’impose à lui. Cela est fâcheux, d’autant plus qu’il s’en faut de beaucoup que l’auteur se montre disposé à accepter le conceptualisme : il le repousse au contraire de toutes ses forces, parce que le conceptualisme c’est l’idée toute faite, sinon dans l’esprit, du moins dans la nature, et que tout son livre a été écrit uniquement pour montrer que l’idée est une pure création de l’esprit, sans prototype dans la réalité sensible. Ainsi sa doctrine, autant du moins que nous pouvons la comprendre, en même temps qu’elle repousse le conceptualisme, le rend inévitable.

III. Nous n’avons certes pas la prétention d’épuiser la série des objections auxquelles peut donner lieu la thèse de M. Piat. Mais pourtant voici une difficulté encore, dont il n’est vraiment pas possible de ne rien dire. Quel peut bien être, selon lui, le rapport de l’idée avec la sensation d’où l’intellect la dégage ? « Quand je considère la surface de ma table, dit-il, j’ai conscience de produire à la fois deux actes distincts, l’un que j’appelle sensation, l’autre que j’appelle intellection. Mais aussi j’ai conscience que ces deux actes portent sur un seul et même objet. Il ne s’éveille pas en moi deux phénomènes d’origine diverse : l’un qui me vient du dehors, l’autre qui sort de je ne sais quelle région cachée de ma conscience pour s’ajuster au premier comme il peut. Non, il n’y a bien en face de moi qu’un seul et même phénomène, la surface de ma table. C’est vers cet objet une fois donné, que convergent toutes mes puissances cognitives ; c’est cet objet que je saisis par la vue et par le toucher, si je le veux. C’est aussi cet objet que je saisis