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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/372

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les réponses ultérieures de ce même organisme ne seront plus les mêmes qu’avant l’excitation. Un changement permanent s’est effectué. L’excitation a passé ; mais sa trace n’a pas disparu. Aussi toutes les réponses cellulaires qui succèdent à cette première excitation vont être modifiées par elle. Si nous admettons que ces excitations sont innombrables, qu’elles ont porté sur tous les appareils sensitifs, qu’elles se sont répétées pendant plusieurs années, de manière à composer une variété infinie de combinaisons, plus grande que tout ce qu’on peut imaginer, et se chiffrant par milliards de centaines de milliards de milliards, il s’ensuit que les êtres intelligents sont capables d’une variété presque infinie. Si, avant toute excitation, il est difficile de concevoir deux êtres absolument identiques par leur organisation, combien plus impossible encore quand des milliards de milliards d’excitations ont frappé l’être sensible, et capable de souvenir, puisque chaque excitation laisse une trace ineffaçable, et modifie d’une manière permanente la nature de l’être intelligent.

L’intelligence consiste donc d’abord dans la sensation consciente, et ensuite dans le groupement des sensations présentes avec les sensations passées, toutes fixées dans la mémoire, grâce à cette faculté de la cellule sensible de garder l’impression reçue, et d’en conserver, à l’état conscient ou inconscient, le souvenir.

Aller plus loin, c’est-à-dire chercher les lois de l’association, de la volonté, de l’imagination, c’est entrer dans la psychologie, soit générale, soit spéciale, et la physiologie générale n’a pas à étudier ces détails.

Quant à savoir si les phénomènes intellectuels sont une fonction chimique des cellules, ce que nous avons dit à propos de la transmission nerveuse est sans doute suffisant pour établir que les phénomènes nerveux (transmission simple, transmission compliquée ou acte réflexe, transmission plus compliquée encore, ou acte intellectuel) sont probablement des faits de cause chimique. Mais en est-il de même pour la conscience ?

Eh bien, cela paraît probable ; car il est difficile de supposer que, puisque tous les phénomènes des cellules nerveuses sont d’ordre chimique, la conscience, qui est aussi un phénomène produit par les cellules nerveuses, fasse, on ne sait guère pourquoi, exception à cette règle générale, et reconnaisse une sorte de cause mystérieuse, que personne n’oserait affirmer ou préciser[1].

  1. À ce propos, je voudrais réfuter une opinion souvent reproduite, et qui n’a à mon sens qu’une faible valeur. On dit : supposer que le raisonnement et la conscience sont d’ordre chimique, c’est admettre qu’on peut donner l’équivalent pondéral d’un bon ou d’un mauvais raisonnement, d’un sentiment généreux on