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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/481

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g. noël. — noms et concepts

fonde avec celle-ci. Elles ne sauraient exister l’une sans l’autre, elles sont néanmoins deux choses très différentes. Il est très difficile de définir l’idée en elle-même ; c’est ce que nous essaierons de faire tout à l’heure. On peut toutefois en donner une définition provisoire tirée de la double fonction qu’elle remplit. Une telle définition, ne préjugeant pas la nature intime de la chose définie, sera, croyons-nous, admise par tout le monde. L’idée est incontestablement le moyen terme qui unit le nom à l’objet ; elle peut être caractérisée par son rapport à l’un ou à l’autre de ces deux extrêmes. D’une part l’idée est ce qui représente un objet à l’esprit ; elle est en d’autres termes le substitut mental de l’objet. D’autre part l’idée est ce qui constitue la signification d’un nom, l’acte par lequel nous conférons à ce nom un sens déterminé, une acception précise, exclusive de toute autre. Il est facile de voir que l’image ne saurait remplir aucun de ces deux offices.

Que l’image, qu’une image nettement déterminée, ne puisse être le substitut mental d’un genre, on l’accordera volontiers. C’est là un lieu commun du nominalisme. On sera au contraire assez disposé à croire qu’elle peut fort bien représenter à l’esprit un objet individuel. C’est cependant tout à fait inadmissible. D’abord, de ce que l’image est individuelle, on aurait tort d’inférer qu’elle ne peut être l’image que d’un seul individu. L’image est individuelle, cela veut dire qu’elle-même est un individu, qu’elle est telle image et non telle autre. Son individualité est toute intrinsèque ; elle n’est ni le reflet, ni le signe d’une individualité étrangère. Rien ne s’oppose à ce qu’une seule et même image soit indifféremment l’image de deux ou de plusieurs objets distincts. La chose arrive quelquefois. Il peut se rencontrer deux objets assez semblables pour que si je les vois l’un après l’autre je croie avoir vu deux fois le même objet. Duquel des deux l’image qui subsistera dans ma conscience serait-elle le substitut propre et exclusif ? Ainsi à une même image peuvent correspondre parfois plusieurs objets. Inversement à un même objet correspondront d’ordinaire plusieurs images. L’aspect d’un corps ne change-t-il pas avec le point de vue ; selon, par exemple, qu’on le regarde de face ou de profil ? On dira peut-être que les diverses images d’un même objet se complètent réciproquement, qu’elles sont en définitive les parties d’une seule et même image. Cela peut être vrai approximativement, mais non en toute rigueur. Le plus souvent ces images ne sauraient se superposer ou se juxtaposer sans produire une inextricable confusion. Pour que l’image fût le substitut mental de l’objet, il faudrait qu’à un objet donné correspondît une image déterminée. On voit qu’il n’en est rien.