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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/490

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variées en nombre indéfini. Il devient véritablement un caractère générique, commun à une multitude indéterminée d’individus, et l’ensemble de ces individus constitue désormais pour nous un genre ou une chose que ce caractère permet de définir.

Il est facile maintenant de comprendre en quoi consiste la fonction des noms. Le nom d’une qualité ou d’une manière d’être (adjectif ou substantif abstrait) provoque de notre part une réaction déterminée dont la conscience constitue notre connaissance de cette qualité ! Toutefois comme cette réaction ne peut se produire seule, qu’elle ne peut avoir lieu que comme partie de certaines réactions plus complexes, la tendance spécialement éveillée par le mot ne pourra passer à l’acte que si quelqu’une de celles-ci se produit intégralement et aboutit à la formation d’une représentation déterminée. La direction de la réaction totale, par suite l’apparition de telle ou telle image particulière, dépendra des circonstances. Ainsi le même mot pourra-t-il évoquer des images très différentes chez diverses personnes ou chez une même personne en des temps divers. Cela ne l’empêchera pas de conserver le même sens. La réaction totale qu’il provoque n’est pas ce qui constitue sa signification, mais seulement la partie de cette réaction qu’il a précisément pour fonction de déterminer ; la seule qu’il détermine en effet directement et immédiatement et dont tout le reste n’est que la conséquence. Or celle-ci est constante. Ainsi, par exemple, le mot trois provoque directement l’acte de compter et de compter jusqu’à trois. Pourtant, comme nous ne pouvons compter sans compter quelque chose, pour satisfaire la tendance réveillée par le mot, pour obéir en quelque sorte à l’ordre qu’il nous donne, nous devons nous représenter trois objets différents. Mais la nature même de ces objets demeure indéterminée. D’ailleurs notre attention se concentre sur l’acte directement commandé par le mot ; ceux qui doivent s’y adjoindre pour le rendre possible demeurent pour nous sans intérêt et ne sont que vaguement aperçus par la conscience.

La fonction des noms généraux (substantifs communs) est un peu plus complexe, mais se comprend aussi aisément. Ces noms tirent leur signification des caractères qu’ils connotent et se comportent jusqu’à un certain point comme les précédents. Ils en diffèrent en ce que, pour les comprendre, l’attention, après s’être un instant arrêtée sur le caractère distinctif de la classe, doit s’attacher à ce fait qu’il est commun à un grand nombre d’êtres d’ailleurs différents, ce qui n’était pas nécessaire dans le cas précédent.

Il est une classe de mots que les philosophes semblent s’être entendus pour négliger et dont la seule existence constitue un argu-