Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/492

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
482
revue philosophique

cessus actif. Or la sensation semble être purement passive et d’ailleurs absolument homogène.

Sans doute les sensations apparaissent à la conscience comme des états indécomposables qualitativement différenciés, mais c’est là, croyons-nous, une illusion. De pures qualités, du moment qu’elles sont distinctes, doivent différer du tout au tout. Elles s’opposent absolument les unes aux autres et leur dissemblance n’est en aucune façon mêlée de ressemblance. Telles ne sont pas nos sensations. Le fait même qu’elles nous semblent être plus ou moins analogues ; que leur opposition comporte des degrés, témoigne contre leur parfaite homogénéité. Ce sont des synthèses dont les éléments constituants échappent à la conscience ; mais ce sont des synthèses. Cela revient à dire que nous avons devant nous les produits d’une certaine activité unifiante, non des modifications passivement subies. Dès lors rien n’empêche que notre théorie ne leur soit applicable. Sans doute nous ne voyons pas précisément comment elle s’y applique et c’est hypothétiquement que nous les y faisons rentrer. Mais cela nous semble tenir moins à l’insuffisance de la théorie, qu’à la nature même du problème. Toute théorie des concepts rencontrerait les mêmes difficultés. Aucune quelle qu’elle fût ne pourrait directement rendre compte du processus qui donne l’être aux idées générales des sensibles. Une telle explication exigerait nécessairement l’analyse effective de nos sensations ; et cette analyse nous est précisément impossible.

En résumé, si la nature des concepts n’a été jusqu’ici que fort imparfaitement expliquée, cela tient selon nous à ce qu’on a tout d’abord mal posé la question. Le conceptualisme, sous sa forme vulgaire, est une hypothèse grossière et tout à fait insuffisante. Les nominalistes en ont depuis longtemps aperçu et signalé l’inconsistance. Mais ils ont échoué à leur tour quand, passant de la critique à la théorie, ils se sont efforcés de résoudre pour leur compte le problème. La plupart d’entre eux en sont arrivés à reprendre inconsciemment l’hypothèse même qu’ils avaient justement dénoncée et victorieusement combattue. C’est que le conceptualisme, si absurde qu’il paraisse, contient une part de vérité. Il fallait non le rejeter en bloc, mais le corriger et l’épurer. Son erreur n’est pas d’admettre la réalité des concepts, mais d’en méconnaître la nature. Si le concept n’est rien, la parole et la pensée demeurent inexplicables. Mais le concept est tout autre chose qu’une image. C’est un mode particulier de cette activité mentale par laquelle nous construisons les images.

Georges Noël.