Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/499

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
489
g. dumas. — l’association des idées dans les passions

même ; à cette restriction près, j’ai essayé jusqu’ici de vérifier en tous points l’opinion du philosophe anglais.

Les besoins organiques une fois connus, nous pouvons essayer de pénétrer le mécanisme plus complexe des désirs psychiques et d’y retrouver les lois précédentes. Nous pouvons présumer qu’elles se vérifieront encore, bien que plus difficiles à découvrir, et l’expérience va justifier cette présomption. Choisissons une passion quelconque, la jalousie. En quels éléments se résout le désir qu’elle implique ? Tolstoï nous en donne un exemple dans la « Sonate de Kreutzer » [1] ; peut-on y distinguer la double loi d’arrêt qui vient d’être formulée ? Pozdnichew raconte comment est née sa passion, et dans la période de début ce qu’il constate en lui, ce sont des tendances arrêtées ou des désirs de vengeance qui apparaissent. Occupons-nous d’abord des premières. Le sentiment de la propriété violée est le plus fort qu’il éprouve, mais ce sentiment est trop fréquent pour qu’il soit utile d’y insister. Puis vient l’idée du déshonneur, de la honte qui va rejaillir sur lui ; après, c’est la pensée de la famille : « En présence de la nourrice et de mes enfants elle me déshonore ! » C’est toute l’éducation morale, tous les principes que Pozdnichew a donnés aux siens renversés d’un seul coup : « Mon petit Vassia, il verra le violoneux embrasser sa mère ! que va penser sa pauvre petite âme ?… Moi élevé en honnête homme par mes parents, moi qui avais rêvé toute ma vie de bonheur conjugal et de fidélité, moi avoir une telle destinée ! — Cinq enfants, et elle embrasse ce musicien parce qu’il a les lèvres roses ! — Non ce n’est pas une femme, c’est une chienne, une ignoble chienne. » Tous ces rêves qui croulent, toutes ces illusions dissipées correspondent à autant de tendances brisées ; est-il nécessaire de faire la même remarque pour les lignes suivantes : « Et que sais-je ! — Peut-être ces enfants que je crois miens sont les enfants d’un domestique. — Ah ! que penseront la nourrice et Yegor ? et cette petite Lisa ? elle comprend déjà. — Et cette impudence, ces mensonges, cette sensualité bestiale que je connais si bien ! » J’arrête les citations ; celles-là suffisent, je crois, pour montrer que dans la jalousie de Pozdnichew il y a déjà un ensemble de tendances arrêtées ; c’est une vie psychique qui se trouve suspendue par la pensée de l’adultère. Tout à l’heure c’était le corps qui souffrait peu à peu tout entier de la faim, maintenant c’est l’esprit qui est progressivement envahi ; c’est là ce que j’appelais l’aspect négatif du besoin lorsqu’il s’agissait de la faim.

Quel sera l’aspect positif ? quelles tendances s’éveilleront dans

  1. P. 195 sqq. de la traduction française.