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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/503

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g. dumas. — l’association des idées dans les passions

« Socrate est mortel. » Remplaçons ces associations abstraites par des associations plus concrètes, la perception d’une orange, et nous y retrouverons les trois éléments que nous venons d’indiquer. Nous savons en effet, par une connaissance antérieure, que tous les corps sphériques de couleur jaune et d’une certaine grandeur sont des fruits remplis de jus sucré, association par contiguïté ; nous voyons un corps sphérique et jaune qui ressemble aux corps déjà vus, association par similitude : nous concluons que ce corps nouveau est une orange, association par contiguïté.

Telle est à peu près dans sa substance la théorie de M. Binet sur le raisonnement dans la perception ; on lui a reproché d’être confuse et de donner à des opérations inconscientes un nom qui implique l’exercice de la plus claire raison, le nom de syllogisme. Nous ne voyons pas à vrai dire pourquoi le mot ne pourrait pas être conservé si l’on fait toutes les restrictions que M. Binet n’a pas manqué de faire. Sans doute le sens se trouve élargi et même un peu modifié, mais on a du moins l’avantage de marquer d’un seul coup la parenté des associations d’images et des associations abstraites, de supprimer la distinction trop nette que l’on a toujours faite entre la psychologie et la logique et de ramener à un type unique les opérations intellectuelles les plus diverses. L’esprit, a dit Wundt, est une chose qui raisonne ; nous nous souviendrons de cette pensée en étudiant les associations de tendances et nous n’hésitons pas plus que l’auteur de la Psychologie psychologique à conserver ici le mot de raisonnement. Si dans la naissance ou le développement d’une tendance, nous pouvons distinguer une opérations à trois termes, nous parlerons de syllogisme. — Le mot, une fois expliqué, nous paraît bon. — Reste à signaler les faits.

Guy de Maupassant parle, dans un de ses contes, d’un Français qui tombe amoureux d’une Anglaise parce qu’elle parle mal le français. Il la rencontre dans une ville d’eaux, essaie de causer avec elle et lui voit écorcher sa langue d’une si délicieuse façon qu’il la demande en mariage. Qu’est-ce qui s’est passé dans son esprit ? — Nous pouvons vraisemblablement le supposer. Pour tout le monde une langue bégayée rappelle de près ou de loin la langue des enfants. Il nous est impossible, à l’audition de certains mots bizarrement agencés, de ne pas penser aux bouches naïves et jeunes qui les ont souvent prononcés devant nous. Sans doute d’autres raisons peuvent être invoquées ; on peut mettre en avant les rencontres heureuses de mots et d’expression que facilite l’ignorance de la grammaire, parler de l’agrément qu’ajoute un accent nouveau, mais nous avons le droit de choisir une raison entre toutes et de l’analyser. Que penser de la