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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/603

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b. bourdon. — résultats des théories contemporaines

ajouterons même que les lois de l’idéologie sont à peu près les mêmes que celles de la physique ; c’est ce que nous ne pouvons nous attarder à démontrer ici ; contentons-nous de dire que cela résulte de la démonstration qui vient d’être faite de la ressemblance existante entre les idées d’objets et les objets mêmes[1].

Nous reprocherons encore à beaucoup des théories associationistes d’être matérialistes, ou, pour parler plus clairement, nous reprocherons à leurs auteurs de tendre à se représenter les idées comme des objets étendus susceptibles d’être contenus les uns dans les autres, contigus spatialement les uns aux autres. L’homme est toujours porté vers le matérialisme ainsi conçu, parce qu’il se représente mieux les objets étendus que tous autres phénomènes ; c’est en partie à cause de cette disposition naturelle de l’homme au matérialisme que les théories de Démocrite sur la connaissance, que les théories géométrico-mécanistes de Descartes qui diffèrent si peu des théories de Démocrite ont eu dans l’histoire de la philosophie et des sciences tant de succès. Sans cette même disposition naturelle de l’esprit humain on n’eût pas essayé, comme on l’a fait souvent, de réduire la ressemblance à la contiguïté, et William James, par

  1. Tout a sa raison, même l’erreur. Pourquoi donc les philosophes ont-ils si facilement affirmé la subjectivité même des idées d’objets, tandis qu’ils n’ont guère osé affirmer celle des objets ? C’est évidemment parce que les idées des objets sont un peu plus subjectives, au moins relativement, que les objets présents. Le langage révèle aisément ce dernier fait : tandis qu’en effet les phrases qui expriment des rapports d’objets impersonnels ou de phénomènes objectifs impersonnels présents renferment rarement un pronom personnel, celles qui expriment des rapports d’objets ou de phénomènes objectifs impersonnels pensés en renferment parfois ; exemples, l’arbre tombe et je me souviens d’avoir vu l’arbre tomber. Si par hasard l’expression d’une perception renferme quelque pronom personnel, c’est la preuve qu’il se manifeste dans le cas de cette perception des phénomènes subjectifs apparents ; qu’on compare, par exemple, à cet égard, ces trois phrases, dont les deux dernières renferment chacune un pronom personnel et un verbe exprimant un phénomène humain : L’arbre va tomber. — Je crois que l’arbre va tomber. — Remarquez-vous que l’arbre va tomber ? Il suit de ce qui précède que l’effort d’attention est généralement plus considérable lors de l’observation d’idées d’objets que lors de l’observation d’objets : or chacun a pu constater en effet que l’étude des idées n’est possible qu’à l’homme adulte et qu’à l’homme rompu à cet exercice. Beaucoup d’hommes n’ont que rarement des idées nettes et ne savent pas en avoir même lorsqu’ils font effort pour cela.

    Nous pourrions appeler subjectivo-idéalisme cette doctrine dont le succès a été si grand chez les modernes et qui exagère d’une part le rôle des idées dans le monde (idéalisme), subordonnant à celles-ci même les objets, d’autre part le caractère subjectif des idées (subjectivisme). Le subjectivisme a infecté même la physiologie, et pendant qu’il y a des métaphysiciens qui cherchent des idées d’objets dans l’âme humaine, il y a certainement des physiologistes qui rêvent d’en trouver dans le cerveau humain. Ils ont à peu près autant de chances d’en découvrir les uns que les autres : soit dans l’âme, soit dans le cerveau, il n’y a pas plus d’idées d’arbres que d’arbres, d’idées de chevaux que de chevaux, d’idées de symphonies que de symphonies, etc.