Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
606
revue philosophique

composés, la coexistence, la juxtaposition des éléments qui entrent dans la composition de cette société deviennent en général une coexistence et une juxtaposition qui s’étendent sur une durée ou un espace assez considérables : ainsi les jugements d’un raisonnement ne coexistent pas autant que les idées d’un jugement. En second lieu, cette société composée, considérée en bloc, n’a pas la même intensité, apparaît plus confuse, surtout lorsque ses éléments sont de qualité dissemblable, qu’une société simple : une phrase d’un récit est beaucoup mieux saisie en général que le récit tout entier. Ces remarques expliquent qu’il soit difficile d’étudier la société d’individus composés.

Nous croyons inutile d’insister longuement sur la théorie de la société composée, attendu qu’elle paraît soumise aux mêmes lois fondamentales que la société simple, et que, d’ailleurs, il nous a été difficile, en étudiant la société simple, d’éviter d’emprunter parfois nos exemples et de faire allusion à la société composée. Contentons-nous de quelques brèves remarques.

Si nous considérons la similitude de qualité, nous voyons encore qu’elle exerce une action particulièrement forte pour produire, par exemple, la coexistence, c’est-à-dire la similitude de temps : un raisonnement, qui est toujours composé de jugements présentant une assez grande similitude qualitative, se retient mieux, conserve mieux la coexistence de ses parties que ne le fait un récit, composé de jugements souvent très différents entre eux[1]. Je fais plus facilement des calculs arithmétiques par 5 et par 10 que par 4, 6, 7, 8, 9 et peut-être même que par 3 et par 2, parce que les mots cinq, dix, quinze, vingt, vingt-cinq, trente, trente-cinq, etc., d’une part, dix, vingt, trente, quarante, cinquante, soixante, etc., d’autre part, qui se présentent dans les phrases de ces calculs, donnent une foule de syllabes semblables, ce qui n’arrive pas si je calcule par 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9.

Deux similitudes qu’il y a lieu de considérer particulièrement dans l’étude des sociétés composées sont les similitudes de nombre et d’ordre. Elles sont d’un genre plus compliqué que la plupart des autres ; c’est sans doute pour cela qu’elles paraissent sans grande influence sur elles. Ainsi la vue du nombre deux AA n’amène même pas facilement chez moi, comme je le remarque en ce moment, la pensée de nombres deux usuels, tels que mes deux mains, mes deux yeux, etc. ; parmi les pensées qui me sont venues tout d’abord, j’ai

  1. Nous nous proposons d’établir dans un travail ultérieur, par des statistiques, de combien en moyenne les éléments d’un raisonnement sont plus semblables entre eux que ceux d’un récit.