Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/621

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


COMMENT LA SENSATION DEVIENT IDEE


I

Dans un article précédent[1] nous avons démontré que la sensation n’exprime que nous-mêmes. Elle est la traduction en termes de conscience de ce qui, considéré du point de vue objectif, est une réaction de l’organisme, tout entier solidaire, à une impression externe. Nullement destinée à nous faire connaître quoi que ce soit du dehors, la sensation a un rôle plus modeste, mais plus indispensable : elle nous avertit, en effet, de ce qui nous est utile ou nuisible. Si nos sens avaient pour mission de nous faire pénétrer jusqu’à lu nature intime des choses extérieures, ils seraient des organes ridiculement avortés, puisqu’on les considérant avec leurs nerfs de transmission au cerveau, ce sont des appareils chimiques, qui par conséquent dénaturent l’impression externe et la transforment radicalement.

Mes sensations ne me donnent donc que moi-même ; elles expriment la forme même de mon être : elles sont l’élément inné en moi, l’élément irréductible de la vie psychologique. Elles sont ce qu’elles sont parce que je suis ce que je suis. Mes tendances fondamentales différentes, elles seraient autres. Elles constituent les matériaux donnés à l’esprit : grâce aux lois distinctes qui régissent l’apparition de la conscience affective et l’apparition de la conscience froide en quelque sorte, de la conscience intellectuelle, ces matériaux vont subir d’abord de profondes modifications. Ces éléments modifiés, l’esprit va les combiner, les classer, les ordonner, mais il ne pourra en créer de nouveaux : les matériaux de toutes ses constructions ultérieures lui sont imposés : et ce sont les sensations. L’esprit n’en a pas d’autres. Mais il va découvrir entre ces sensations des rapports présentant tous les degrés de permanence, depuis les rapports les plus fugitifs, aux rapports invariables, peut-être absolus, qui

  1. Revue philos., mai 1890.