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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/65

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b. perez. — le caractère et les mouvements

rien de contraint ou d’excessif, on voit naître l’heureux tempérament du plaisir. L’irascibilité, la combattivité, n’ont guère d’occasions de s’exercer et de se développer. Mais supposons quelque altération morbide des viscères, qu’à cette cause essentielle de trouble dans l’humeur s’ajoutent les contrariétés résultant de l’étourderie du caractère, de désirs d’autant plus tyranniques qu’ils ne sont pas toujours satisfaits, ou même de quelque rigueur de la part de l’entourage, alors nous aurons des chagrins fréquents, mais toujours vite oubliés, des tristesses donnant heu par réaction à un étrange besoin de plaisir, à des accès de gaieté étourdissante. Ici, d’ailleurs, beaucoup de colères explosives, ou, si le sujet est timide, respectueux, rigoureusement tenu, des crises très courtes, mais très pénibles de désespoir ou d’indignation. Ce que la vivacité laisserait échapper, l’ardeur le reprend pour son compte, et l’élabore en sous-œuvre.

Bien qu’un peu d’ardeur semble impliquer une certaine faculté de résistance et de lutte, ce n’est pas en général chez les vifs-ardents qu’il faut chercher les grands batailleurs. Quand c’est leur métier, de soldat, d’orateur, ou de polémiste, passe encore ; mais, dans la société actuelle, avec le genre de vie ordinaire, ceux qui auraient pu être des façons de Henri IV ou de d’Artagnan, des vifs-ardents au premier chef, ont trop de distractions, trop d’insouciance, pour se tenir toujours sur le qui-vive, prêts à attaquer ou à se défendre. Il faut laisser cette attitude aux ardents proprement dits. Mais, le cas échéant, les plus doux de cette classe, sous la forte impulsion d’un désir ou sous le coup d’un violent froissement d’amour-propre, peuvent résolument tenir tête à un adversaire, sauf à lui tendre la main après la victoire. Ceux dont les entrailles sont promptes à se troubler, timides ou poltrons sans être lâches, sont difficilement des vaillants ; demandez-leur de la témérité, du courage par colère ou par entraînement, de l’héroïsme d’une minute, mais pas de courage de sang-froid, raisonné, patient, ferme.

Ces natures impressionnables, orientées vers le plaisir, mais capables de rapides retours sur elles-mêmes, sur leurs joies comme sur leurs peines, sont assez portées à la bienveillance, et, surtout si elles ont un peu connu la souffrance, doivent être aussi promptes à s’émouvoir de pitié. Leurs liaisons sont, en général, comme chez les vifs, faciles, pas très constantes, à moins que leur inconstance même ne les ramène à leur objet. Malgré tout, la mobilité de leurs goûts et de leurs allures les fait paraître quelquefois moins affectueux qu’ils ne sont. Surtout ne leur demandez pas beaucoup de choix dans leurs amitiés ; pas plus que des témoignages de reconnaissance éternelle, pas plus que des rancunes implacables : c’est surtout leur plaisir.