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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/663

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ANALYSES.w. arthur. La loi morale et la loi physique.

C’est à la réfutation de cette troisième thèse que se borne la réfutation du positivisme entreprise par M. William Arthur. La meilleure formule de cette thèse lui paraît être celle-ci qu’on doit à Stuart Mill : « Tous les phénomènes, sans exception, sont gouvernés par des lois invariables, dans lesquelles n’interviennent aucunes volitions soit naturelles, soit surnaturelles. » Ici l’auteur est de l’avis de Mill ; il croit comme lui qu’aucune volition, de quelque ordre qu’elle soit, n’est susceptible d’altérer les lois, seulement il ne croit nullement que de cette simple constatation découle comme conséquence l’identité de la loi physique et de la loi morale.

Et d’abord M. William Arthur ne croit pas qu’aucune intelligence sensée puisse, en y réfléchissant, croire que les écoliers qui sont sur les bancs sont régis par des lois identiques à celles qui régissent les tables et les bancs. Bien plus il refuserait volontiers le nom de loi aux lois physiques pour le réserver exclusivement aux lois morales. Selon lui, en physique il n’y a que des règles selon lesquelles s’accomplissent les événements. La notion véritable de loi est celle qui est fournie par la science du droit, c’est-à-dire celle d’un « instrument qui préserve l’ordre entre l’homme et l’homme et qui, de la sorte, préserve la société elle-même ». Cet instrument suppose un législateur et un but, La notion de loi en physique ne vient que d’un appauvrissement de cette première conception. Nous concevons, en effet, qu’il est nécessaire pour la conservation du monde physique que l’ordre se maintienne entre ses diverses parties comme cela est nécessaire entre les hommes pour le maintien de la société ; nous concevons alors les règles de ce maintien de l’ordre physique et nous les nommons des lois.

Ainsi toute loi suppose une pensée législatrice qui a une intention, un but. Seule la conception du but rend la loi intelligible. Autrement on saurait bien que les règles existent, mais on ne saurait jamais pourquoi les règles ont été posées.

Il est vrai que le positivisme, en nous permettant l’étude des lois, nous interdit celle des causes. Mais en quoi les causes sont-elles plus inaccessibles que les lois, ou, ce qui revient au même, en quoi les lois sont-elles plus accessibles que les causes ? Bien plus, les causes sont souvent connues, alors que les lois restent ignorées. Le chloroforme produit l’insensibilité, nous connaissons la cause ; comment la produit-il ? nous l’ignorons et par conséquent nous ignorons la loi.

Les lois physiques ne sont pas d’ailleurs purement physiques, elles ne peuvent exister si elles n’entrent dans l’esprit, si elles n’ont avec lui une certaine conformité. Elles doivent donc ne pas dérouter l’esprit. Or, l’esprit réclame un but à toute loi. Les lois physiques ont donc quelque chose de moral en elles qui les pénètre et les rend susceptibles d’être représentées par l’esprit.

Ce qui doit servir surtout à différencier les deux espèces de lois, ce sont les natures différentes des agents qu’elles régissent.

L’agent moral a une notion dont le fond dernier est inconnaissable,