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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/243

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a. fouillée. — le problème psychologique

l’intelligence. En d’autres termes, les lois vraiment psychologiques ne sont plus une pure coordination de phénomènes dans le temps ; nous ne nous contentons plus de ranger le phénomène A au premier moment, le phénomène B au second moment, etc., et d’ajouter que, dans les mêmes circonstances, le même ordre se reproduira. Nous voyons un pourquoi, un rapport de convenance interne entre les phénomènes se continuant l’un dans l’autre, parce qu’ils apparaissent tous, en dernière analyse, comme des appétitions, comme des progrès d’une même volonté tendant au plus grand bien. On peut donc dire que les rapports psychologiques sont des rapports de finalité immanente, très différents des lois de causalité purement physique. Le mode d’action du sujet sentant est la tendance à une fin.

Là encore, la psychologie et la biologie se touchent. Si la « lutte pour la vie » supprime la finalité extérieure de l’intelligence, elle ne supprime pas la finalité intérieure de la volonté. Dire que les êtres combattent pour la vie, c’est dire qu’ils combattent pour se nourrir et se reproduire, qu’ils font effort, qu’ils désirent la nourriture et sentent du plaisir en se nourrissant. La lutte pour la vie ne se comprend donc, au fond, que comme une lutte de volontés ; elle est une manifestation extérieure de phénomènes tout psychiques en soi. S’il n’y avait dans la réalité qu’universel mécanisme, il y aurait universelle indifférence. En quoi un ensemble de particules inertes prendrait-il intérêt à être à droite plutôt qu’à gauche, à se mouvoir avec telle vitesse plutôt qu’avec telle autre, à se conserver plutôt qu’à ne pas se conserver, à se reproduire plutôt qu’à ne pas se reproduire ? Le principe universel de l’intérêt est essentiellement psychique, et, sans ce principe, la vie est incompréhensible, la lutte pour la vie est plus incompréhensible encore. Le vrai darwinisme n’est pas une doctrine exclusivement mécaniste : son ressort même est la sensation et l’appétition, le vouloir-vivre. C’est ce ressort que le psychologue prend à tâche d’étudier. Dans les êtres vivants, pour un spectateur, tout se passe comme si l’avenir était un des facteurs du processus interne : l’être vivant agit pour causer un certain effet, qui est son bien, alors même qu’il ne connaît point ce bien et ne connaît pas sa propre action. L’être n’est plus seulement absorbé dans le présent et poussé par le passé : il fait l’avenir même sans le concevoir, par le besoin qu’il a de tel état qui n’est pas encore, par un certain nisus a fronte, non plus a tergo. C’est une perpétuelle génération de l’avenir par l’appétition, qui est tournée de ce côté alors même qu’elle l’ignore. Le présent de l’animal est un présent inquiet, qui ne se suffit pas, qui aspire à la suite. L’être