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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/279

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a. espinas. — la technologie artificialiste

tion, la concurrence aussi suscitèrent parmi eux des sujets incomparables pour la vivacité de l’intelligence, la richesse de la mémoire, l’envergure des idées, la prestesse et l’éclat de l’élocution. Investis, en dépit de la médiocrité de leur origine, des plus hautes fonctions dans leurs cités, ils étaient de vivants exemples des avantages sociaux attachés à la possession du savoir. On ne pouvait nier d’ailleurs que leurs élèves ne fussent supérieurement armés pour la vie politique. C’était donc justement qu’ils échangeaient contre de l’argent cette denrée précieuse inaccessible avant eux, ces connaissances générales et spéciales, qu’ils avaient mises en valeur, qu’ils avaient pris la peine d’aller chercher et de façonner pour qu’elles fussent à la portée de tous. L’art de l’éducation leur doit la première ébauche d’un haut enseignement encyclopédique, capable de préparer la jeunesse aux fonctions sociales supérieures ; ce sont eux qui ont créé l’opinion que la science est désirable non seulement comme un exercice délicieux des facultés, mais comme un instrument incomparable pour l’acquisition des plus grands biens. Par l’emploi de ce double moyen d’entraînement, les sophistes devenaient les plus grands manieurs d’esprits qui aient jamais existé ; ils donnaient le branle à la croyance dans tous les milieux cultivés du monde grec.

Mais nous verrons bientôt que la science et l’art n’étaient pas encore distingués à cette époque ; quand donc nous disons que les sophistes enseignent la science, il faut entendre qu’il s’agit à la fois des connaissances pures utilisées dans les arts et des habiletés pratiques qui constituent ces arts mêmes, le tout confondu. La capacité (ἀρετή) est ce qu’on demande aux nouveaux maîtres de communiquer. Et comme ceux qui veulent acquérir ces capacités ont plus besoin de pouvoir en faire montre devant les assemblées que de les exercer en réalité, l’enseignement des choses mêmes cède le pas à l’enseignement de l’art de parler des choses. D’autre part le maître n’a pas tant besoin de les savoir que de faire croire qu’il les sait, et s’il réussit à en parler mieux que l’homme du métier, il sera tenu pour supérieur à lui. Toute instruction, toute éducation se ramènent donc h ceci : faire croire à des auditeurs ce qu’on veut et les faire douter de ce qu’on veut ; il n’est même pas nécessaire que le maître enseigne réellement le même art à ses disciples ; il suffit qu’il leur fasse croire qu’ils le tiennent de lui. L’art pédagogique dégénère ainsi en une suite de chétifs artifices ; il atteint son but quand il connaît les recettes par lesquelles on peut déterminer l’acquiescement des individus et des foules, et ces recettes sont simples. Il suffit à l’élève « d’apprendre par cœur mécaniquement les questions