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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/317

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notices bibliographiques

On retrouvera dans son Epopée les idées qui lui sont habituelles, le critérium-fait, le Dieu-Fait, et d’abord sa conception originale de l’Être préantinomique. Il n’a pas tenté moins que d’expliquer Dieu, le monde et l’homme, et de bâtir sur des rimes une construction métaphysique, où le transformisme n’est qu’une pierre angulaire. Quelques lecteurs s’étonneront de le voir accepter simplement la légende du plateau du Pamir, l’antiquité védique, la conquête du Nil par un peuple venu de l’Est, et tant d’autres hypothèses vagues ou contestables. Au fond, cela n’importe pas ; la valeur poétique des faits, et jusqu’à un certain point leur vérité générale, ne dépend pas seulement du système ethnographique. L’œuvre de M. de Strada est une Légende des siècles, avec plus de suite, et par malheur non moins d’obscurités. Dans le premier volume, par exemple, ce long défilé d’abstractions, Atome, Ordre, Energie-Idée, Force-Unité, etc., vous laisse à la fin l’impression inquiétante de voir « de la nuit découpée dans les ténèbres », comme disait à peu près Victor Hugo. Mais l’ambition y est trop haute, l’inspiration trop généreuse, pour qu’on les puisse méconnaître sans injustice. Jamais une telle synthèse n’a été essayée ; jamais poète n’avait imaginé de mettre l’homme doué du langage en contact immédiat et dramatique avec ses ancêtres animaux. Quel dommage qu’il y ait des vers si médiocres à côté d’autres qui sont vraiment beaux, et tant de maladresses, d’inégalités, dans une poésie qui’reste forte ! Ce n’est pas, certes, un pur chef-d’œuvre ; mais ce n’est pas une œuvre sans génie.

L. A.

Lucien Muhlfeld. la fin d’un art, conclusions esthétiques sur le théâtre. Paris, 1890, brochure.

M. M. nous prédit la fin de l’art dramatique, au moins en France. Autant vaut dire qu’il la constate. Mais la raison pourrait n’en être pas seulement celle qu’il nous donne. Il faut, selon lui, pour une complète floraison de l’œuvre scénique, qu’à l’action du spectacle réponde la réaction du spectateur, qu’il y ait communion entre le poète et le public, et que la vie sociale elle-même soit en quelque sorte théâtrale. Ces conditions se sont rencontrées dans Athènes, puis à la cour de Louis XIV ; elles n’existent plus aujourd’hui, et probablement ne se retrouveront pas.

On ne peut refuser que cette vue ait de la justesse. Encore les conditions du milieu social n’apparaissent-elles pas si nettement formulées, qu’il soit facile de dire pourquoi le public de Shakespeare valait plus ou moins que celui de Molière, par exemple. Il flotte toujours dans l’air, objecteront quelques-uns, des émotions et des idées que le poète peut recueillir et traduire, et le malheur est que nous n’avons plus de grands poètes. Pour ceux que M. M. préfère, ils ont du talent, on le veut bien, mais il n’est vraiment pas possible de leur reconnaître du génie.