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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/336

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pleut ici, la quantité de vapeur d’eau diminue, et l’on n’aperçoit aucun motif pour qu’à ce même moment une quantité équivalente d’eau liquide se vaporise ailleurs. C’est un cycle : la même eau sert indéfiniment, mais rien n’empêche qu’il n’y ait, suivant les circonstances, un peu plus de vapeur ou un peu plus de liquide.

De même, il y a une circulation de la matière, qui passe de l’inorganique aux organismes, pour retourner à l’inorganique, incessamment. Mais rien n’oblige à admettre une équivalence perpétuelle entre la somme des naissances et des décès de protoplasma. Il existe un cycle vital, mais non une constance de la somme de vie.

III

Que reste-t-il de la prétendue loi ? Que l’univers est fort grand, qu’il est à peu près dans un état d’équilibre et que, par conséquent, les changements qui s’accomplissent en lui à chaque instant sont comme noyés dans son immensité. Il y a loin de cette vérité modeste aux grands principes de la conservation de la matière et de la permanence de l’énergie.

M. Preyer lui-même paraît du reste s’être aperçu que sa loi n’a rien de bien rigoureux. Car tout en écrivant Mz Mn = K, il traduit cette égalité par la phrase que j’ai déjà citée : « Le rapport de la quantité totale de matière vivante à la quantité totale de matière non-vivante qui existe en même temps, oscille autour d’une constante K. » — La fixité et l’oscillation, ce n’est cependant pas tout à fait la même chose. Malgré cela, l’auteur raisonne, à plusieurs reprises, dans la suite, comme s’il s’gissait d’une égalité véritable.

Il n’est pas mauvais de revenir à notre comparaison de tantôt. Nous ne savons pas si le total d’eau liquide sur la Terre est à peu près constant, ou s’il varie d’un siècle à l’autre. Mais il y a tant d’eau icibas, et les conditions de climat depuis les temps historiques ont assez peu changé pour que l’on admette volontiers une quasi-constance de la masse totale d’eau liquide. Cela n’autorise pas le moins du monde à faire de cette quasi-constance une loi naturelle. Pour s’en convaincre, il suffit d’embrasser d’immenses périodes de temps. D’après les témoignages concordants de l’astronomie, de l’astrophysique, de la géologie, la Terre a débuté par une phase d’incandescence qui ne permettait point à l’eau de subsister à l’état liquide. La quasi-constance de la quantité d’eau liquide n’est donc qu’une illusion, qui se dissipe lorsque l’on porte les regards assez loin en arrière.

C’est aussi en remontant dans le passé que l’on aperçoit le mieux l’inexactitude de la loi de M. Preyer, et que l’illusion d’une constance