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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/342

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l’analyse seule du phénomène qui nous a permis d’établir que l’être est et qu’il est multiple. Nous ne saurions trop insister sur cette remarque, car on peut affirmer sans crainte que, plus le sens du positif tendra à suppléer, en métaphysique, les vues abstraites et les spéculations hasardeuses, plus il paraîtra indispensable de donner aux inductions rationnelles un appui solide, et de rallier toutes les initiatives autour d’un point de départ incontesté. Ce point de départ, il faut bien le reconnaître, le positivisme l’a vu, il l’a mis en lumière, et cela même est un signalé service, tant il est vrai qu’en philosophie nulle doctrine n’est inutile, et que chacune, à quelque point de vue, profite à toutes ; mais le point de départ n’est pas le but, et il ne faut pas, après y avoir pris pied, se fixer dans le phénomène. Si, pour des raisons de plus en plus fortes et aujourd’hui décisives, le phénomène s’impose à l’origine, il est nécessaire d’en sortir.

Ceci posé, nous permettra-t-on, avant de poursuivre, de prévenir certains doutes et de reprendre pour les préciser quelques points de notre argumentation antérieure ? Peu de lignes y suffiront. Le plus pressé, après tout, n’est-il pas d’écarter les malentendus ?

I

Et d’abord, le lecteur a pu craindre, au début de ces spéculations, que nous n’ayons trop présumé du raisonnement en l’appliquant à tirer l’être du phénomène. On l’a fait maintes fois remarquer, être et phénomène sont hétérogènes, et il semble que poser l’un soit précisément exclure l’autre ; comment donc trouver l’un dans l’autre ? Si l’être, par hypothèse, est déjà présent dans le phénomème, nous ne parlons plus du phénomène ordinaire, du phénomène tel que l’entend tout le monde ; et s’il ne s’y trouve pas, quel miracle de prestidigitation dialectique l’en fera sortir ?

L’objection est spécieuse, rien de plus, et il n’y a là, on va le voir, qu’une question de mots. Certes, lorsque d’abord nous avons posé le phénomène, nous n’avons pu le poser à l’avance comme vide d’être, autrement nous nous serions condamné tout de suite à n’en rien tirer ; mais, d’autre part, il eût été absurde de lui prêter, en le posant, l’être même que nous nous proposions d’y découvrir. Le vrai, c’est qu’avant toute analyse, le phénomène était et devait être, pour nous qui ne l’apercevions que du dehors, indifférent à l’une ou à l’autre alternative, animé peut-être d’une vie propre, peut-être aussi soutenu dans son impuissance naturelle par quelque activité immanente ou extérieure, cachée d’abord et invisible au premier aspect. La question que nous nous sommes posée est donc celle-ci :