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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/347

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f. evellin. — méthode dans les problèmes du réel

l’être au profit de ses manifestations, et voilà qu’on aboutit, sans y prendre garde, à une multiplication prodigieuse, à un fourmillement profond et infini d’êtres créés tout à coup et comme par enchantement sous la baguette d’une fée. Autant d’êtres nouveaux, en effet, si chaque phénomène agit pour son compte, qu’il s’est rencontré et succédé, qu’il se rencontrera et se succédera de phénomènes en chacun des êtres qui ont paru et paraîtront dans le monde. L’imagination demeure stupéfaite ; l’esprit cherche, sans la trouver, la raison de ces existences éparses, qu’aucun lien de continuité ne peut unir, et qui n’ont pas même le temps d’avoir un but, puisqu’en elles commencement et fin se touchent, se pénètrent et deviennent un point indivisible.

Dans cette donnée enfin rien ne s’explique plus malaisément que ce que nous appelons manières d’être. Nos modes s’y trouvant promus à la dignité d’êtres véritables, il faut ou supposer qu’ils existent à l’état diffus, sans relation ni lien quelconque, ou admettre qu’il s’établit entre eux des rapports susceptibles de fonder une nature, de donner naissance à un tout organisé et harmonieux. Dans le premier cas, c’en est fait de la science qui vit de comparaisons et de synthèses, de la pensée même, dont les liaisons et les jugements n’ont plus de sens. Dans le second, les difficultés ne sont pas moindres, et il se produit, on vient de l’indiquer, une conséquence inattendue, surprenante : nous avons besoin de manières d’être ; elles nous font défaut. Voici comment. Puisque à ce point de vue, en effet, tout est lié dans les choses, il est clair qu’actions et réactions doivent engendrer des accidents analogues à ceux que nous connaissons et que nous appelons phénomènes, mais ces accidents nécessaires, ces phénomènes auxquels l’hypothèse nous condamne, la réalité maintenant nous les refuse. Le vert, le rouge, le bleu, tel son, telle note, sont ce qu’ils sont et rien de plus : il faut s’arrêter. Le fait est décisif. Il signifie que les êtres prétendus ne sont que des modes, et que, réclamer pour ces réalités imaginaires des modes nouveaux, c’est demander, sans ombre de raison, au second degré d’abord, à l’infini ensuite, des manières d’être de manières d’être et des accidents d’accidents.

Si nous sommes parvenus à jeter quelque lumière sur ces problèmes difficiles, on s’expliquera sans doute que nous ayons mis à la fois action et passion dans le phénomène. Du phénomène on ne peut dire, ni que l’action lui est étrangère, ni qu’elle est sa propre essence et son vrai fond.