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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/354

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simple apparence, et qui n’admet hors du phénomène que l’esprit, ne voudra voir dans le premier qu’un mode absolu du second. Mais on sait ce qu’il faut penser de telles hypothèses, et quelles conséquences elles entraînent en dépit des prétentions de ceux qui les risquent. Posé seul, on ne l’a pas oublié, le phénomène se dissout lui-même, et s’il n’exprime qu’une essence, il ne s’en distingue plus. Puisqu’il est, puisqu’il apparaît distinct, il est relatif, et, sur ce point, ni l’instinct populaire, ni la généralité des philosophes ne se sont trompés.

Ce qui a pu jeter quelque obscurité sur le problème et prêter au malentendu, c’est comme toujours le vague des termes philosophiques. Que signifie le mot phénomène ? Pris d’ordinaire pour synonyme de fait, il désigne aussi bien les événements naturels que les actes, les états ou même les conditions de la vie psychologique. Ainsi le mouvement conçu comme raison physique de la sensation est un phénomène ; phénomène aussi la sensation qui en dérive ; phénomène l’acte de vouloir intérieur que la sensation suppose ; phénomène la pensée qui saisit et interprète la sensation, sans parler du temps et de l’espace qui servent à la sensation de condition et de cadre. Or, entre ces groupes variés, confondus sous une même étiquette, il n’existe que de lointaines analogies, et l’on conçoit que, ce qui peut s’affirmer de l’un, ne puisse au même titre s’affirmer des autres. Quelques philosophes traitent le fait de conscience avec des démonstrations de respect qui feraient croire qu’ils lui prêtent le caractère de l’absolu. Le posséde-t-il en réalité ? Il ne s’agit que de s’entendre. Un acte comme le désir ou la pensée, sans être l’absolu de l’esprit qui possède son activité et en dispose, peut passer pour un de ses modes propres, pour une de ses manifestations personnelles et originales. Mais autre chose est un tel mode, et autre chose le phénomène tel que nous l’avons défini. Comment confondre une tendance naturelle, une tendance caractéristique de l’être où elle se produit, avec l’état qu’engendre, en la limitant du dehors, une tendance contraire ? Certes, il est naturel que dans l’esprit, l’acte purement spirituel, désir ou pensée, soit vu en lui-même et du dedans, sans déformation et tel qu’il est. Il serait, au contraire, inexplicable que le fait sensible qui marque le point de rencontre de deux actes, et par cela même altère l’un et l’autre, nous mît de plain-pied dans l’absolu. Or c’est du fait sensible et de lui seul qu’il s’agit pour nous lorsque nous parlons de phénomène. C’est de lui seul que nous affirmons, avec la presque totalité des savants et des philosophes, qu’il est relatif.

Il résulte des considérations qui précèdent que l’événement psy-