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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/36

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d’un philosophe inconnu, qui fut interdit un an après. C’est à la fin de cette année que le nom de Martinistes est attaché définitivement, quoique d’une manière tout à fait impropre, à Novikof et à ses amis. Dès lors de mauvais jours se préparaient pour eux. Le gouverneur de Moscou, Brüs, faisait tous ses efforts pour les rendre suspects aux yeux de Catherine[1]. Elle ordonna de les surveiller. En 1786, Novikof fut appelé à répondre devant l’archevêque Platon du degré de son orthodoxie. Il répondit qu’il croyait aux dogmes fondamentaux de l’Église orthodoxe, et que, s’il appartenait depuis longtemps à la franc-maçonnerie, c’est qu’il n’y voyait rien de contraire à la foi ni au respect de l’autorité. Malgré l’avis favorable que donna Platon, quelques livres furent confisqués ou brûlés. En 1787, Catherine donna l’ordre d’interdire la vente de tous les livres traitant des choses saintes, qui ne seraient pas imprimés dans la typographie du Saint-Synode. Quand la Révolution française éclata, les Martinistes furent traités avec plus de rigueur, bien qu’ils s’abstinssent de toute politique. En 1790, parut à Toula une réfutation du livre de Saint-Martin. En 1792, Novikof fut enfermé dans une forteresse jusqu’à l’avènement de Paul Ier, qui le fit mettre en liberté. Novikof, dont nous n’avons indiqué que quelques traits généraux, était, sans contredit, une âme noble, stimulée par des mobiles élevés : la cause de l’instruction, l’amour de l’humanité[2] et de la religion. Malheureusement il assigna à l’instruction un but mystique, et il resta au point de vue du moyen âge, niant les découvertes de l’astronomie et de la chimie, parce qu’elles étaient en contradiction avec les Saintes Écritures, croyant à l’existence des éléments, de sept planètes, etc.

Mentionnons un autre mystique du xviiie siècle, mais qui se tient complètement à l’écart de la direction précédente. Skovorodà, surnommé le philosophe voyageur de l’Ukhraine, fut attaché en qualité de clerc auprès d’un grand seigneur, avec lequel il visita une grande partie de l’Europe. Revenu dans sa patrie, il mena une vie errante, visitant ses amis et les entretenant de sujets pieux. Le fond de ses œuvres est mystique avec un caractère platonicien. Il insiste sur la connaissance de soi-même. Au fond du visible réside l’invisible, qui forme la substance du visible. Si l’on ne se connaît pas soi-même, dit-il, on ne peut pas songer à connaître le monde externe.

  1. 1. Catherine II, quelques années auparavant si bien disposée envers Novikof, voulut les tourner elle-même en ridicule dans des comédies de sa composition ; la foule des courtisans suivit son exemple, et il parut à Pétersbourg une quantité de libelles satiriques contre les mystiques et les Martinistes.
  2. En 1812, quand les paysans de son village lui amenèrent des Français faits prisonniers, il leur donna de l’argent malgré l’exiguïté de ses ressources, les nourrit, soigna lui-même les blessés et les malades. (Voy. Longuinof, ouv. cité).