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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/393

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th. ribot. — enquête sur les idées générales

J’ai cependant rencontré un cas très net et complet dans ce genre. C’est un médecin polyglotte, connu par de nombreux travaux d’érudition, vivant depuis de longues années dans les manuscrits et les livres. Il n’a la vision typographique à aucun degré ; mais tous les mots « résonnent dans son oreille ». Il ne peut lire et composer sans articuler. Si l’intérêt de sa lecture ou de son travail augmente, il parle à haute voix : « il faut qu’il s’entende ». Dans ses rêves, peu ou point d’images visuelles ; il entend sa voix et celle de ses interlocuteurs : « ses rêves sont auditifs ». Aucun de mes mots, même semi-concrets, n’a évoqué d’images visuelles.

Chez la plupart, le type auditif n’est pas pur. Pour les termes très généraux, il n’existe que le mot entendu ; mais à mesure que l’on descend vers le concret, il s’accompagne d’une image, faisant ainsi retour vers notre premier type.

Je crois digne de remarque que le terme « flatus vocis », « nomina », employé d’abord au moyen âge et qui est devenu depuis la formule du nominalisme, semble par sa nature indiquer qu’à l’origine, il a été inventé par des gens appartenant au type auditif, et je risque sur ce point une hypothèse. Le type visuel typographique n’existait pas (l’imprimerie n’étant pas inventée) : il est vrai qu’il pouvait avoir un succédané dans le type visuel graphique. Mais si l’on remarque qu’au moyen âge l’enseignement était surtout oral, qu’on s’instruisait plutôt en écoutant qu’en lisant, que les joutes oratoires et les argumentations étaient quotidiennes et interminables, on ne peut nier que les conditions aient été très favorables pour développer le type auditif.

Je n’ai pas besoin de dire que les trois types décrits ne se rencontrent que par exception, sous la forme pure et complète. Dans la règle, ce qui prédomine, c’est un type mixte : image concrète pour quelques mots et vision typographique ou image auditive pour les autres. En résumé, tous les cas me paraissent se réduire à ce qui suit : 1o le mot entendu ; en sus rien (nous aurons à examiner plus tard ce « rien » ) ; 2o la vision typographique seule ; 3o accompagnée d’une image concrète ; 4o le mot entendu toujours accompagné d’une image concrète.

IV. — Avant de commencer cette enquête, j’avais fort hésité sur un point : en questionnant, fallait-il employer des mots généraux ou des propositions générales ? J’avais opté pour les mots, parce que étant courts, simples, isolés, présentés à l’état de nudité, ils avaient l’avantage d’être saisis du premier coup et surtout de n’indiquer au sujet interrogé aucune direction à suivre.