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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/412

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la philosophie de l’évolution du sensualisme. Toutefois, si l’on considère le développement tardif des doctrines sensualistes et le rôle prépondérant qu’elles surent prendre dès le xviie siècle, on modifiera la conclusion précédente en ce sens, que la philosophie critique est l’héritière légitime de l’idéalisme sensualiste, et la philosophie positive la descendante immédiate du matérialisme également sensualiste ».

« On arrivera, de la sorte, continue l’auteur, à constater entre les orientations de la pensée moderne, une parenté autrement proche que celle unissant les diverses philosophies du passé. On verra sans étonnement les contrastes s’apaiser, les divergences tendre à disparaître, les similitudes et les contacts devenir de plus en plus fréquents. Sur certains points essentiels, les trois grands systèmes contemporains se pénètrent déjà en vérité de façon à ne former qu’une seule et même doctrine. Et cette fusion s’affirme aujourd’hui surtout dans les questions que l’ancêtre commun, le sensualisme, semblait avoir le plus brillamment résolues. »

Si les trois doctrines contemporaines restent métaphysiques et criticables, elles ont entrevu au moins certaines conditions de la véritable philosophie. Kant, Comte, Spencer ont affirmé l’importance de l’expérience. Schopenhauer interprète et précise la doctrine de Kant. Pour lui comme pour Comte, « la philosophie doit, à l’exemple de toutes les autres branches du savoir, se cantonner dans le domaine de l’expérience. Seulement, au lieu de se spécialiser, ainsi qu’elle le fait dans les sciences, l’expérience ici se généralisera, elle sera l’ensemble de l’expérience et non telle ou telle de ses parties. Mais comment atteindre cette somme ? Après Kant, et avec infiniment plus de clarté, Schopenhauer montre qu’un seul moyen le permet : fonder la philosophie sur les données que lui apporteront les philosophies particulières des diverses sciences, intermédiaires indispensables entre le savoir particulier et le savoir général. La philosophie devient une vaste œuvre de centralisation scientifique et interscientifique. Voilà la conception même de Comte ; et le criticisme tend ici la main au positivisme qu’il précède historiquement. »

Malheureusement les trois doctrines qui entrevoyaient la bonne route ont dévié et en sont sorties. Le criticisme s’est buté à l’idéalisme subjectif. Ce qu’il a considéré, c’est l’expérience abstraite et générale et ses conditions. La philosophie devient ainsi « une critique des facultés intellectuelles, la science de leurs lois et de leurs formes, de leur valeur et de leur limite, une sorte de mésologie générale de l’expérience ». On arrive au même point par une autre route assez semblable à la première. La philosophie est la science du général et de l’universel, mais tout se ramène au fait de conscience, à l’idée, au phénomène subjectif, à l’esprit, le monde est une représentation, et les lois de l’esprit, les formes de la pensée, les théories de la connaissance se présentent ainsi comme ce qu’il y a de plus général, comme l’objet même de la philosophie, Le criticisme est ainsi tombé dans l’erreur de