Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
450
revue philosophique

ductibles ; son critérium de la nécessité n’est pas sûr pour déterminer ce qui ne vient point de l’expérience individuelle ou ancestrale ; de plus, la nécessité n’aboutit pas à fonder la valeur objective de nos tendances intellectuelles. Enfin il reste toujours à expliquer l’origine de ces tendances. Pour cela, il faut passer du sens négatif de l’a priori au sens positif.

IV

Selon Kant, l’a priori a son origine dans une condition « transcendantale » : la « spontanéité d’un sujet pensant » comme tel ; si bien que, outre l’expérience, il y aurait en nous une « faculté supérieure », l’entendement actif. Spontanéité de la pensée, voilà donc le sens positif de l’idée d’a priori.

Par malheur, l’hypothèse qui attribue ainsi notre constitution nécessaire à notre spontanéité n’est pas seulement gratuite, elle est contradictoire. Une constitution, une nature toute faite que je trouve en moi, sans me l’être donnée, ne peut me venir que de quelque cause externe. Une loi qu’on ne se fait pas à soi-même est toujours quelque chose de passif. Dès ma naissance, ma pensée se trouve emprisonnée dans des cadres nécessaires, dans des « catégories nécessaires », et il y a douze catégories, ni plus ni moins, Kant a compté les chambres de la prison ; or une prison n’a rien de « spontané ». Alors même que je trouverais ma prison autour de moi en venant au monde, alors même que j’y serais né et y aurais toujours vécu, elle serait toujours pour moi chose étrangère, chose a posteriori. Kant est dans l’illusion si, en faisant pénétrer les murs de la prison jusqu’au sein de la pensée, il croit en faire un produit de la spontanéité intellectuelle. Ces murs doivent être, du côté physique, les cases du cerveau ; or, on n’admettra pas que nos cerveaux se soient construits spontanément et indépendamment du monde. Si je remarque, prétend Schopenhauer à l’appui de Kant, qu’une chose m’accompagne partout et dans toutes les conditions (comme les idées de l’espace, du temps et de la causalité), « j’en conclus que cette chose dépend de moi » : par exemple, « si partout où je vais, il se trouve une odeur particulière à laquelle je ne puis échapper ». Cet argument ne prouve rien : l’odeur constante peut venir du milieu et non de moi-même, comme la pression constante de l’air sur mon corps vient de l’atmosphère ; l’odeur provînt-elle de mon propre corps, elle viendrait par cela même d’un milieu plus intime et plus inséparable ; elle ne serait un produit vraiment spontané que s’il dépendait de moi de m’en délivrer et si je me voyais moi-même la