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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/476

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riellement et mécaniquement, agissent par les trajets cérébraux où elles sont fixées ; elles ne demeurent pas des lois abstraites de la nature, elles prennent la forme concrète de courants cérébraux ayant un lit déterminé et une pente déterminée. Les lois les plus générales de la pensée répondent aux directions universelles des courants cérébraux ; jamais un courant n’a parcouru un canal à la ois en deux sens opposés, et jamais la pensée ne pourra concevoir qu’une chose soit et ne soit pas sous le même rapport. Jamais un courant cérébral ne s’est produit sans venir d’un point et sans aller vers un autre par un trajet déterminé ; et jamais la pensée ne concevra qu’une chose vienne de rien, soit sans antécédent déterminé et sans conséquent déterminé. Autant faudrait se figurer que la Seine va se mettre à couler de l’ouest à l’est au lieu de l’est à l’ouest. La mécanique est la logique concrète du mouvement, et la logique est la mécanique abstraite des idées ; notre cerveau, sous l’impression de la nature, ne peut pas, d’une manière générale, réagir à contresens. Il n’est donc pas besoin de réaliser ni de substantifier les lois pour comprendre que les choses agissent sur nous dans un certain rapport entre elles et avec nous, et que ce rapport s’impose à la représentation ou au souvenir comme il s’est imposé à la sensation même. Toute la question est de savoir comment nous arrivons, nous, à poser à part les rapports, à les abstraire ; il est clair que la réalité n’a pas besoin de faire cette abstraction. Ce n’est pas en vertu des lois de la chute des corps que je tombe en heurtant une pierre ; c’est en vertu des actions réelles aboutissant à la chute, actions que nous avons fini par formuler en symboles mathématiques sous le nom de lois de la chute des corps. Il en est de même pour le principe d’identité et celui de raison suffisante. Ce n’est pas par la vertu de ces principes que les choses sont identiques et ont des raisons ; c’est nous qui avons fini par abstraire du réel ces lois symboliques. Toute loi, après tout, n’est qu’un mode constant d’agir et de pâtir, de quelque manière qu’on se représente (ou qu’on ne se représente pas) la nature de l’action et de la passion.

Au reste, l’objection mise en avant par les Kantiens tombe sur eux bien plus que sur les évolutionnistes : que sont en effet les formes a priori de la pensée, sinon des entités ? Le développement de la pensée est, comme tout autre, soumis à un certain ordre, à une certaine série de conditions, d’antécédents et de conséquents : voilà la vérité ; les formes a priori ne doivent donc être que les symboles abstraits des procédés réels de la vie cérébrale et psychique : impression reçue, élaboration, mouvement centrifuge, et parallèlement : sensation, émotion, réaction appétitive. L’évolutionnisme a le droit