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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/489

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j.-j. gourd. — la volonté dans la croyance

place pour un nouvel élément différentiel et indéterminé, qu’elle force à reculer, sans doute, mais qui ne disparaît pourtant pas. La liberté qu’elle renferme doit rencontrer une autre liberté qui lui fait obstacle. Elle n’est donc qu’un des facteurs du jugement, et peut-être arrive-t-il quelquefois qu’on n’aperçoit pas très nettement son résultat : ce n’est pas une raison de le nier. — Ajoutons que si, dans bien des cas, la volonté n’exerce sur la croyance qu’un minime pouvoir, c’est qu’elle n’a pas avant tout la croyance pour objet. Par exemple, le souci du vrai, si faible quelquefois, peut, dans certaines circonstances, et dans certains esprits, l’emporter de beaucoup sur le souci de la croyance. On veut bien croire, mais on ne le veut pas au-dessus de tout, au prix même de la vérité. C’est probablement le cas de Pascal. Ce grand esprit, aussi avide qu’il fût de tranquillité morale, ne pouvait se désintéresser de la vérité, de la vérité claire, rationnelle, démontrée, et cette préoccupation neutralisait celle de la croyance. Dans d’autres cas, quand la volonté semble au contraire incapable d’empêcher la croyance, il se peut que le désir de croire l’emporte sur celui de posséder le vrai. On veut bien se garantir contre les illusions, mais peut-être désire-t-on avant tout donner un point fixe à sa pensée, et cela suffit pour neutraliser l’œuvre critique de la réflexion. Il ne doit donc pas être question d’une lutte de la volonté avec une puissance étrangère, mais d’une lutte au sein même de la volonté. Cette analyse, et la réserve qui la précède, répondent suffisamment à l’objection.

III

Il n’y a pas pour la volonté plusieurs manières d’intervenir dans la croyance, et s’il existait une difficulté à cet égard, elle ne serait pas plus grande dans le cas de la croyance constante que dans celui de la croyance au sens large. D’une part, pour que la volonté maintienne la constance dans les jugements, il faut bien qu’elle soit capable d’influencer un jugement : on ne dirige le cours des pensées qu’en produisant des pensées, on n’assure la fidélité à une conclusion qu’en faisant tirer chaque fois cette conclusion. D’autre part, si la volonté est capable d’influencer un jugement, elle peut tout aussi bien en influencer plusieurs, et faire répéter toujours le même. — Donc, nous sommes autorisé à affirmer à propos de la croyance constante ce que nous avons établi à propos de la croyance simple. Et nous n’aurions même rien à ajouter, si le rôle de la fonction pratique était seul en question ici. Mais voici une raison nouvelle qui concerne spécialement la liberté, et qui nous permettra d’être plus catégorique dans notre conclusion.