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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/513

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REVUE GÉNÉRALE. — études criminelles et pénales

ressentiront l’effet périodique ou continuel de la terreur d’un instant et en resteront frappées à fond, sujettes à des accès d’hypocondrie ou d’irritabilité maladive. « Le souvenir de l’accident, dit le Dr Guillemand (Des accidents de chemins de fer et de leurs conséquences médico-judiciaires, Storck, 1891) est extrêmement vivace. Il imprime aux sentiments un caractère tout particulier et provoque pour les motifs les plus futiles une sorte d’angoisse insurmontable et même de véritables accès de terreur. » Exemple, entre mille, de cette périodicité psychologique qui fait qu’aucune sensation, comme disait Goethe, n’est fugitive. « Le caractère subit de profondes modifications ; le malade devient triste, taciturne ; il recherche la solitude, se renferme en lui-même, est hanté par des idées noires. Tout cela, sans motif. » Souvent, cet état ne se déclare qu’un certain temps après la catastrophe. Il arrive aussi que l’atteinte cérébrale est moins profonde quand elle s’accompagne d’une blessure extérieure. « Erichsen fait remarquer à cet égard que, si la violence du choc s’est épuisée en causant une fracture, une luxation, l’élément nerveux se trouve ménagé d’autant. De même, dit-il, une montre en tombant est plus rarement atteinte dans les pièces du mouvement, si le verre a été brisé par le choc. » — On s’est demandé si les douleurs de l’accouchement n’expliquaient pas, dans un petit nombre de cas, l’infanticide, suite d’une névrose spéciale. On peut se demander si, chez certaines voleuses de magasins, la vue de l’objet de toilette ne produit pas une tentation morbide comparable à celle que la vue de leurs nattes de cheveux ou de leur mouchoir produit chez l’érotomane qui les suit par derrière, ou à celle de ce malheureux (cité p. 89 et suiv.) qui, en voyant un rasoir, ne pouvait résister au désir de tuer sa femme qu’il adorait. Il n’est pas d’homme, si normal soit-il, qui ne traverse à certaines heures un de ces cyclones intérieurs appelés amour, désespoir, vengeance, colère ; et quand l’accès érotique notamment se réveille en nous, c’est un délire des sens, du sens moral, du cœur, une aberration de tout l’être délicieusement avili.

Quand on a lu les rapports médico-légaux, si approfondis, de MM. Motet, Garnier, Brouardel, Magnan, cités par M. Thierry, ou bien l’étude du Dr Régis sur les neurasthénies psychiques, sur ces affaiblissements de la volonté qui provoquent une sorte de monoïdéisme obsédant et tyranique, on ne doute plus de la nécessité d’établir des asiles spéciaux pour les criminels irresponsables ou à peine responsables mais non moins dangereux. Entre autres exemples qui prouvent l’urgence de cette création, rappelons cet ingénieur qui, « ne réussissant pas dans ses inventions, prend en haine l’École polytechnique, et, sans rime ni raison, s’en va tirer sur des élèves qu’il ne connaît même pas ; on l’arrête, la justice impuissante le passe à l’administration trop bienveillante qui le rend à la liberté. Il recharge son revolver quelque temps après, tue un homme du plus grand mérite, l’ingénieur Raynaud », et, traduit en cour d’assises cette fois (pourquoi cette fois plutôt que l’autre ?) est condamné à sept ans de réclusion. C’était, évidemment,