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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/521

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REVUE GÉNÉRALE. — études criminelles et pénales

napolitaines. Enfin il déclare formellement, n’en déplaise à mon ami Ferri, que la cause « socialement la plus importante », de ce brigandage effréné, devenu un métier avoué, et assez productif, est ou a été « l’impuissance démontrée de l’autorité à découvrir les coupables et à les punir ». Dès le moment où les exécutions ont commencé — il est vrai qu’il y a fort peu de temps — les brigands se sont mis à réfléchir.

VI

L’ouvrage de M. Paul Moriaud, avocat à Genève, sur le Délit nécessaire[1], nous fait aborder un terrain nouveau : il ne s’agit plus des conditions subjectives de l’irresponsabilité, mais de ses conditions objectives. L’auteur d’un délit peut être irresponsable, soit parce qu’il a été en proie à une surexcitation morbide ou à un entraînement contagieux en l’exécutant, — nous venons de voir cet aspect de notre sujet, — soit parce que ce délit n’en est pas un, à raison des maux qu’il a empêchés et qui sont égaux ou supérieurs aux maux causés par lui. C’est, par exemple, le cas de la légitime défense ; mais la légitime n’est qu’une espèce du genre beaucoup plus vaste fort savamment et profondément traité par M. Moriaud. N’est-il permis de tuer ou de blesser quelqu’un que pour se défendre contre son injuste agression ? N’est-on pas excusable d’avoir tué ou blessé quelqu’un qui ne nous attaquait pas, mais dont la mort ou la blessure était la condition sine qua non de notre salut personnel, comme lorsque dans un bateau de sauvetage surchargé et prêt à périr, un des naufragés en jette un autre à l’eau pour alléger l’embarcation, ou, de peur de mourir de faim avec son compagnon d’infortune, le tue et le dévore ? Cette question de droit n’est pas purement oiseuse, elle a été soumise parfois à l’appréciation des cours criminelles, qui l’ont jugée diversement. Elle aurait déjà pu se présenter plus haut à notre attention, à propos des délits de foules. Il est arrivé peut-être quelquefois qu’un massacre ait été commis par une multitude, quoique tous ses membres l’aient réprouvé au fond du cœur, mais parce que chacun d’eux a été convaincu, d’après l’attitude des autres, que, s’il refusait de participer au meurtre collectif, il serait massacré lui-même. Robespierre, d’après Mme Rolland, était terroriste par peur. Combien de férocités collectives ne sont que des collections de lâchetés ! Or, dans ces cas-là, dirons-nous que les massacreurs étaient « en état de nécessité », pour parler le langage de M. Moriaud ?

Entre deux maux il faut choisir le moindre, entre deux biens il faut sacrifier le moindre ; cela est évident. Mais quel est le moindre ? Aux yeux du législateur qui prévoit ce conflit et dont toutes les décisions, à vrai dire, sont provoquées par le besoin de résoudre un conflit pareil[2],

  1. Du Délit nécessaire et de l’État de nécessité (Genève et Paris, 1889).
  2. Aussi M. Moriaud dit-il fort bien que le législateur est souvent lui-même « en état de nécessité ». Il aurait pu dire toujours. L’état de nécessité, en effet, tel qu’il le conçoit, tel qu’on doit le concevoir, n’est pas une exception, comme il paraît le penser ; il est la règle.