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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/527

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REVUE GÉNÉRALE. — études criminelles et pénales

mément à cette loi, feront tout ce qu’ils pourront « pour se donner le plus de jouissances égoïstes, au prix des plus grands sacrifices imposés aux gouvernés ». Cette conséquence de l’utilitarisme n’a pas tardé à être tirée aux États-Unis où les associations de grands capitalistes, qui sont le vrai gouvernement, ont exploité, à leur profit, par la vénalité des pouvoirs publics, les masses électorales. Il faut lire là-dessus, Choses d’Amérique, par Max Leclerc (1891). On a commencé par ériger en axiome que toutes les fonctions, toutes les positions officielles devaient être attribuées, tous les quatre ans, aux créatures de la coterie triomphante. Les gens accommodants trouvaient la chose logique, sinon honnête. Puis cela n’a plus suffi ; on a fait des lois, par exemple celles sur le protectionnisme, uniquement dans l’intérêt de cette coterie. C’était encore plus malhonnête, mais encore plus logique. Si intelligent de ses intérêts que soit le peuple américain, il s’est laissé duper le mieux du monde, jusqu’à ces derniers mois. Cet exemple peut n’être pas inutile à rappeler. — Mais prenons garde à ne pas diffamer la nature humaine : tôt ou tard, en Amérique comme en Europe, elle finit par se révolter contre l’injustice, ou par en rougir. La nature humaine, en effet, a une inclination innée à l’ordre et à la paix, elle est essentiellement sympathique et sociable, comme l’est en son fond la nature de tout être vivant, car tout organisme n’est-il pas une association harmonieuse ? L’association pour la vie est l’alpha et l’oméga de la nature ; la lutte pour la vie n’en est que le moyen terme et le procédé passager. Voilà pourquoi il y a, dans la vieille et séculaire hypothèse du Droit naturel, une âme de vérité que M. Vaccaro a tort de méconnaître et que Spencer a eu raison de dégager. Par les « vœux de la nature », par les « commandements de la nature », comme par les « commandements de Dieu », les grands moralistes de tous les temps, depuis les jurisconsultes stoïciens de Rome qui ont renouvelé et tract, figuré rationnellement, grâce au jus naturæ, le Droit quiritaire, jusqu’aux fondateurs du Droit des gens au xvie siècle, jusqu’aux évangélistes des Droits de l’homme en 1789, — tous se sont-ils donc payés de vains mots ? Non, tous, ce me semble, ont exprimé de la sorte avec plus ou moins de bonheur et d’exactitude, cette conviction très plausible, qu’il y a au cœur des choses comme au cœur de l’homme, une profonde bonté immanente, source cachée de nos inclinations fréquentes au « bien », de nos orientations spontanées, en tant de races et de lieux différents, vers cet équilibre seul stable des intérêts que nous appelons la Justice. Mais, encore une fois, je n’ai pas le temps de discuter[1].

Je n’ai pas encore dit un mot des travaux accomplis sous l’impulsion toujours féconde du Dr Lacassagne. Mais, à dire vrai, il est plus facile de les louer que de les résumer, tant ils sont pleins et denses. La bro-

  1. Je me borne aussi à indiquer une étude remarquable de M. Alimena sur le Giudizio d’accusa nella legislazione inglese (Turin, 1890).