Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/542

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
528
revue philosophique

moins profondément dans tous les autres. À tous ces traits, on a reconnu l’idéalisme tel que Leibniz l’avait construit, celui que nous avons appelé idéalisme monadiste et qu’on pourrait aussi appeler spiritualiste.

Entre ces deux formes de l’idéalisme, M. Fouillée semble hésiter encore, bien que plus d’un passage de l’Évolutionnisme des idées-forces ne semble pouvoir s’interpréter que dans le sens de l’idéalisme moniste ; ou plutôt, fidèle à sa méthode de conciliation, il entrevoit sans doute une troisième doctrine qui les unirait l’une et l’autre. Par là encore il mérite cet éloge que nous lui avons justement adressé de devancer sur bien des points la philosophie contemporaine. On peut dire de M. Spencer qu’il a surtout réussi à résumer dans ses œuvres les idées courantes de la science et de la philosophie de son temps. Son système est, en quelque sorte, une philosophie d’Exposition universelle. Il serait plus glorieux pour M. Fouillée qu’on pût dire de lui ce que Huxley a dit de Descartes : « Il a exprimé des idées qui deux ou trois siècles plus tard devaient être celles de tout le monde ».

E. Boirac.

François Picavet. Les idéologues, essai sur l’histoire des idées et des théories scientifiques, philosophiques, religieuses, etc., en France depuis 1789 (1 vol.  in-8o en 628 pages, Paris, F. Alcan).

Ceux qui aiment en fait d’histoire de la philosophie un mode d’exposition où l’auteur, se substituant aux philosophes dont il est censé faire connaître les doctrines, les ramène toutes à des vues préconçues et à l’unité de sa propre philosophie, faisant ainsi une construction plus qu’une histoire, une œuvre d’art plutôt qu’une œuvre scientifique, ceux-là ne sauraient goûter l’œuvre si consciencieuse et si savante de M. F. Picavet. On peut en effet la caractériser en deux mots : c’est une histoire vraiment objective, et cette histoire est absolument complète. L’œuvre est objective et scientifique parce que l’auteur, prodigue d’analyses, sobre d’appréciations, s’efface le plus possible devant les philosophes dont il expose les doctrines et laisse parler les textes, sorte d’originalité qui en vaut bien une autre. L’œuvre est complète non seulement parce que l’historien a fait de précieuses trouvailles d’érudit, mais parce qu’il n’a négligé aucun des ouvrages de marque produits par l’école : tant pis après cela si quelques critiques prévenus trouvent ses analyses trop minutieuses ; nous ne saurions nous plaindre de posséder en un seul volume, fût-il un peu compact et étendu, toute une bibliothèque idéologique, sans oublier le rayon important des manuscrits inédits. Dans sa Vie de Condorcet, Arago déclare que « l’ouvrage de Condorcet est trop connu pour qu’il puisse penser à en tracer l’analyse ». C’est se débarrasser aisément d’une besogne qu’on croit à tort inutile : est-il bien vrai d’ailleurs que Condorcet, Cabanis, Destutt de Tracy soient la lecture habituelle de nos contemporains ? Seule-