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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/564

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II

Aussi bien M. Stumpf l’aura-t-il assez promptement éliminée. Il nous fera remarquer que l’attention arracherait aux sensations successives leur masque de simultanéité, si réellement c’était là un masque ; mais l’attention n’y parvient pas, donc l’hypothèse de la rivalité est fausse. — Elle serait fausse, objecterions-nous, s’il était vrai que l’attention a plein pouvoir sur les illusions de la conscience et qu’il lui suffit de paraître pour les dissiper. D’autre part, M. Stumpf répliquerait que l’attention, tout en fortifiant la netteté, l’acuité du sens intime, n’en modifie nullement la matière, qu’elle agit sur notre manière de saisir les sensations, mais laisse nos sensations intactes. — Et la réplique nous rendrait perplexes ; car nous aurions quelque peine à distinguer, dans l’étendue du champ de la conscience, entre « la manière de percevoir » et « la matière à percevoir », puisque cette matière serait une sorte de matière toute psychique, numériquement distincte de l’objet externe. En passant sur cette difficulté, on n’en aurait pas encore fini avec la précédente : il resterait en effet à se demander quelle est au juste la puissance de l’attention volontaire, soit en général, soit dans le cas actuel. Et l’on n’en peut rien savoir. L’attention ne parvient pas à vaincre toutes les hallucinations psychologiques. J’appelle de ce nom ce qui a lieu, par exemple, lorsqu’ayant déjà perçu, on s’imagine percevoir pour la première fois. Il m’est arrivé de « découvrir » à la quatrième représentation de l’Africaine une des plus admirables pensées musicales de Meyerbeer. Certes, je l’entendais pour la quatrième fois ; non seulement sa beauté, mais « sa présence » m’avait échappé. Appelant l’attention à mon secours, j’ai vainement essayé d’enlever à cette perception ce coefficient de surprise mentale qui est vraisemblablement chez tous le signe d’un état intérieur nouveau et de lui appliquer cette impression de déjà vu ou plutôt de « déjà perçu » qui détermine les jugements de reconnaissance. L’hallucination persista.

Mais autant il est facile de comprendre que l’attention ne puisse opérer à distance, et ici c’est ce qu’on exigeait d’elle, puisqu’on lui demandait d’agir sur des états passés, autant il est permis de comprendre qu’elle ait plus d’efficace sur des états présents. Ce coefficient de « déjà perçu » qui manquait à notre perception musicale, lui manquait précisément, parce que l’attention, cherchant à s’emparer d’états antérieurs et peut-être d’états retombés dans le néant, ne trouvait naturellement où se prendre. Il s’agissait de ramener à la surface ce qui n’était plus au fond : l’opération était impraticable.