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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/566

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une unité ou plutôt une unité composite et jamais elle ne se dément. Lotze et Helmholtz se rangent du côté de M. Stumpf, mais pas Fechner. Fechner, en musique, est un vrai béotien ; son opinion ne saurait prévaloir. Lotze, d’autre part, fait observer que l’attention parvient à démêler une pluralité de sensations là où cette pluralité est primitivement inconnue, que travaillant à l’encontre de l’imagination, l’attention découvre et n’invente point, que si, par suite, elle nous montre une pluralité là où primitivement l’unité apparaissait, c’est la pluralité qui est réelle.

Pourtant cette pluralité est mise en discussion. Et quand un fait psychologique n’est pas unanimement constaté, rien ne sert de combattre une négation ferme par une affirmation ferme. Il faut, après avoir déclaré l’erreur, la détruire en l’expliquant. Et de sérieuses difficultés vont surgir.

Premièrement on objecte que plusieurs sensations d’un même sens, pour être simultanément enregistrées par la conscience, veulent être diversement localisées. — Objection vaine. L’analogie dont elle dérive n’est pas démontrable, car rien n’autorise à conclure de l’œil à l’oreille, de la vision à l’audition. Les visa[1] coexistants sont juxtaposés, par suite localisés les uns hors des autres. Pourquoi ? Parce que les parties de l’espace sont réciproquement impénétrables. Mais qui ne voit que c’est là, ou peu s’en faut, répondre à la question par la question même ? Au vrai, le fait par nous constaté n’a point de raison qui le dépasse et la loi qu’on obtient en le généralisant n’a point de loi au-dessus d’elle. Il n’y a donc rien à préjuger quant aux sensations de l’ouïe, et si, primitivement, elles ne se localisent pas d’elles-mêmes, les analogies tirées du sens de la vue ne leur sont nullement applicables. Encore une fois l’objection est vaine.

En second lieu, on allègue que des sons simultanés, par cela qu’ils sont simultanés, devraient être plus facilement perçus comme tels que des sons successifs, « attendu[2] que deux contenus psychiques peuvent être d’autant plus aisément distingués sous un certain rapport que, sous tous les autres rapports, ils sont indiscernables ». — Est-ce vrai ? Weber n’a-t-il pas fait la preuve du contraire ? Deux sensations tactiles coexistantes peuvent-elles se comparer aussi bien que deux sensations de contact successives ? L’une des deux sensa-

  1. M. Caro, si je ne me trompe, raillait avec bienveillance chez notre ami Victor Egger ce qu’il n’était pas loin de considérer comme une bizarrerie, à savoir le goût du néologisme, j’entends du néologisme gratuit, et il donnait pour exemple ce terme visum, qu’il eût été bien simple de remplacer par… choses vues. Mais non. La chose vue est extra-consciente. Le visum est conscient. Il manquait donc un mot à la langue psychologique.
  2. P. 60.