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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/572

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différemment, un fait demeure que la théorie de la fusion explique de la façon la plus vraisemblable et la plus simple, à savoir l’analyse des sons coexistants.

IV

Depuis qu’on a coutume d’applaudir successivement la Marseillaise et l’Hymne russe, peut-être a-t-on observé en quoi ces deux chants nationaux diffèrent. Le rythme, l’allure, la mesure, le dessin mélodique, le dessin harmonique, tout s’y trouve différer. L’hymne russe peut se chanter de telle sorte que les voix de mezzo soprano, celles de baryton et de basse accompagnent la mélodie récitée par les ténors et les sopranos. On sait ce que signifie « accompagner » en musique : accompagner c’est « chiffrer une basse », c’est-à-dire trouver, pour chaque note de la phrase principale, une ou plusieurs notes consonantes, de manière à transformer une succession sonore en une suite de simultanéités sonores concordantes, soit, pour ne plus parler argot musical, une succession mélodique en une succession d’accords. Il est des suites mélodiques qui ne s’y prêtent point dans toute l’étendue de leur parcours : les règles de l’harmonie s’y opposent. Dans ces cas, on a recours soit au solo, soit à l’unisson. Et c’est là une des différences principales entre l’Hymne russe et notre Marseillaise. Rouget de l’Isle était violoniste, non pianiste ; il a composé le chant de la Marseillaise en l’improvisant de son archet. Le violon étant un instrument « soliloque », ce que le piano n’est pas, Rouget de l’Isle imagina le chant tout d’abord. Il s’agit ensuite de chiffrer les basses, autrement dit de trouver les sons inférieurs correspondants à chacun des sons supérieurs : or, le premier sous-chef de musique venu, s’il sait quelque peu son métier, n’aura pas de peine à découvrir que les trois premières mesures du chant national français veulent, sous peine de fautes d’harmonie, être chantées à l’unisson, et de même les parties de phrases musicales correspondant à ces deux passages : « L’étendard sanglant est levé » et « Aux armes, citoyens ! » On se demande si Rouget de l’Isle, pianiste, aurait vu la difficulté et s’il aurait eu l’inspiration de passer outre, car ces unissons intermittents, sans compter qu’ils ajoutent à la beauté musicale de l’œuvre, sont d’une grande éloquence, l’unisson étant symbole d’unanimité. L’Hymne russe n’a point de tels changements d’allures : c’est un cantique, non un chant de guerre, et chacune des « parties » s’y meut parallèlement à la principale sans jamais la rejoindre comme il arrive dans les unissons. Voilà donc en quoi — pour le musicien — la Marseil-