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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/663

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ANALYSES. — j. pérès. Du libre arbitre.

vement interne, les paragraphes ne se trouvent pas toujours à la place qu’exigerait un ordre objectif ; c’est ainsi que les pages sur la grâce (p. 12 et sqq.) viennent peut-être à un moment où ne les attend pas le lecteur ; elles sont restées à la place où l’idée s’est présentée à l’esprit de l’auteur. S’il peut résulter de là quelque confusion pour le lecteur superficiel, ce léger trouble est largement compensé par le plaisir de goûter une pensée comme à sa source, dans sa pure originalité, avant presque qu’elle s’objective. Pour la même raison, les objections, les difficultés ne sont pas discutées à part, en dehors de l’exposé de la doctrine, mais elles font partie de la trame même de la pensée, comme suscitées par elle, dans son propre développement.

Pour le fond de la doctrine, il nous semble que M. P. pose deux questions que peut-être on reprocherait justement à M. B. de n’avoir pas posées ; c’est d’abord la question du rapport de la liberté avec les événements extérieurs. M. B. étend-il la contingence à tous les faits, ou la restreint-il aux faits de conscience ; et, dans ce cas, comment la contingence intérieure peut-elle se greffer sur la nécessité extérieure ? Ou la question n’est-elle pas à poser ; et faut-il accepter comme deux données irréductibles et la nécessité au dehors et la contingence au dedans ?

D’autre part on a pu dire et jusqu’à un certain point avec raison que M. B. nous proposait sous le nom de liberté la spontanéité animale. Et il semble vraiment, tant M. B. soulève de difficultés contre les distinctions abstraites qui sont en somme de la science et de la Raison, qu’il nous propose comme type de la vie libre, sinon la vie animale, au moins cette sorte d’égotisme sensationnel qui semble en effet l’idéal de quelques écrivains contemporains.

M. P. au contraire a touché dans quelques jolies pages sur la grâce à la question de la contingence dans la nature, et il a de plus fait consister la liberté dans l’intelligence.

Mais il faut avouer que la question est seulement effleurée par lui ; et cela moins par sa faute que par l’effet de la méthode employée pour la résoudre. C’est qu’une étude sur le libre arbitre ne peut se contenter d’être, comme l’indique le titre de l’ouvrage, une Étude de psychologie et de morale. M. P. a eu le mérite d’indiquer les problèmes fondamentaux qu’une telle question soulève : contingence de la nature ; sens et valeur de la Raison ; mais en les touchant il a précisément mis le doigt sur l’insuffisance de la méthode. Si exacte et si fine que puisse être une analyse, elle ne peut suffire à limiter un principe en apparence universel et nécessaire comme le principe de causalité, ni non plus suffire à établir un concept aussi obscur que celui de la liberté de la Raison. De telles analyses sont utiles à opposer aux analyses prétendues positives des naturalistes ; elles peuvent fournir des solutions pratiques provisoires, mais non des solutions radicales. Et même, cette attitude purement défensive en face de la science de la nature est bien difficile à observer, quand le naturalisme semble se fonder sur un principe aussi