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Ch. bénard. — l’esthétique du laid


III

D’abord, en quoi consiste la nature même du laid ? Quelle idée doit-on s’en faire au point de vue métaphysique ? Le sujet est traité dans un très-court article intitulé : Du négatif en général. Ce n’est pas en quelques lignes qu’une telle question peut se résoudre. Nous savons que dans cette école, quand on a mis une idée à sa place on croit avoir tout fait pour la faire connaître. Dans le mouvement dialectique de l’idée, quelle place occupe le beau ? quelle place occupe le laid ? Voilà le point capital. L’auteur, qui avant tout s’en préoccupe, nous dit que le laid tient le milieu entre le beau et le comique. Mais là-dessus, l’esthétique hégélienne est loin d’être d’accord avec elle-même. Ainsi Weisse place le laid entre le sublime et le tragique. Il y a plus, il fait du laid la forme première ou immédiate du beau ; pour lui la négation précède l’affirmation véritable, elle est le stimulus qui force l’idée à se développer et que celle-ci doit surmonter et vaincre à tous ses degrés. M. Schasler pense de même, et M. Rosenkranz trouve cette conception profonde, haute et hardie. Il était nécessaire de s’arrêter sur un point aussi grave, mais, avant tout, de nous dire en quoi consiste le laid lui-même afin de mieux établir et fixer sa place.

Comment notre auteur s’explique-t-il sur ce point capital ? « Il est clair, dit-il, que le laid est une idée relative. Il n’existe que par son rapport avec une autre idée : le beau. Lui-même n’existe que par le beau qu’il présuppose. Celle-ci est l’idée positive. Il n’existe que comme sa négation. Le beau est l’idée divine, l’idée originelle ; le laid, sa négation, n’a comme tel qu’une existence secondaire. Il s’engendre du beau. Non pas que le beau, en tant qu’il est le beau, puisse être en même temps le laid, mais en tant que les mêmes caractères qui constituent la nature nécessaire du beau se changent en son contraire » (p. 7). Il faut avouer qu’une telle définition n’est guère propre à faire avancer la science. Le laid est la négation du beau, l’idée négative opposée à l’idée positive. Le laid s’engendre du beau, etc. Si cela, pour un hégélien, a un sens plus profond, il fallait le montrer ; pour nous, c’est presque une tautologie.

Quel est maintenant le rapport du laid et du comique ? Voici comment la dialectique hégélienne établit ce rapport et marque cette transition. « Ce rapport intérieur du beau avec le laid, comme son propre anéantissement, rend ainsi possible que le laid ne reste