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ribot.m. taine et sa psychologie

il les dissèque, il examine l’économie intérieure des organes et il en infère la façon dont l’œuvre extérieure se produit. Le procédé de cette psychologie concrète consiste donc à étudier les créations humaines — un poème, un tableau, une religion, une organisation sociale — à remonter de ces effets visibles à leurs causes, aux idées et aux sentiments qui les ont produits et à saisir ainsi le développement de l’âme humaine dans ses variétés individuelles et spécifiques. Ramener la masse innombrable des faits à des groupes, les groupes à des formules, les formules particulières à des formules plus générales : telle est la marche à suivre. Ce premier effort de l’analyse nous amène à découvrir trois forces primordiales toujours agissantes, la race, le milieu, le moment : l’une représentant l’élément inné ou fixé par l’hérédité, ce qui est tout un ; les autres représentant l’influence de la nature, de la société, de l’éducation ; et ces variations dans le temps qui sont comme le résultat de la vitesse acquise.

Toutefois, l’explication psychologique réduite à ces trois facteurs tout seuls serait bien vague : elle déterminerait plutôt des causes que des lois. Aussi, quoiqu’on ait répété que M. Taine ramène tout à la race, au milieu et au moment, il a attaché au contraire une grande importance à la recherche de formules plus précises ; et c’est ici que l’anatomie comparée lui sert de guide.

Cuvier a désigné sur le nom de « lois de coexistence » ou de « corrélation organique » ce fait constant, que chez les animaux, il y a des rapports fixes et une dépendance mutuelle entre les organes. La forme de l’un entraîne nécessairement celle des autres. La dent donne l’ongle, le fémur, l’omoplate, etc. « Un carnassier doit avoir la faculté d’apercevoir son gibier, de le poursuivre, de le saisir, de le vaincre, de le dépecer. Il lui faut donc de toute nécessité une vue perçante, un odorat fin, une course rapide, de l’adresse et de la force dans les pattes et les mâchoires. Ainsi, jamais une dent tranchante et propre à découper la chair ne coexistera dans la même espèce avec un pied enveloppé de corne qui ne peut que soutenir l’animal et avec lequel il ne peut saisir »[1]. Il y a de même un système dans les idées et les sentiments de l’homme ; il y a des liaisons nécessaires, des dépendances réciproques. Si un élément essentiel de la vie mentale varie, cette variation entraîne celle des autres éléments. Par suite, il y a des types en psychologie comme en zoologie : ainsi le type oratoire, Tite-Live ; le type imaginatif, Carlyle. Le travail du psychologue, comme celui du naturaliste qui classe des

  1. Cuvier. Anatomie comparée, tome I.