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Kant, comme aux grands idéalistes de son école, la religion lui paraît aussi nécessaire aux aspirations et aux besoins de l’âme, que la morale, que l’art, que la métaphysique.

La religion seule communique une efficacité véritable au sentiment qu’a l’individu de sa dépendance vis-à-vis du tout. Seule elle donne à l’impératif catégorique du devoir assez de force pour briser la résistance des passions. Seule elle peut faire cesser le divorce ou du moins rendre inoffensive l’opposition de l’ignorance et du savoir, du travail et du capital.

Le matérialisme ne donne qu’une satisfaction mensongère au besoin religieux. Qu’il professe avec Comte le culte de l’humanité, avec Strauss, celui de l’univers : c’est toujours à la réalité sensible qu’il prétend borner les aspirations du cœur humain. Et puis, il n’éveille pas dans les âmes cette pitié profonde pour la souffrance, cette mélancolie de la vie, cette conscience douloureuse de la faiblesse et de l’impuissance humaines, qui sont l’essence même du sentiment religieux.

Il est curieux de suivre les discussions qui s’échangeaient à ce sujet entre Lange et son ami Ueberweg. Tous deux croyaient à l’éternité, à la nécessité du sentiment religieux ; tous deux appelaient de leurs vœux une réforme religieuse. Mais le premier, d’accord avec Strauss, soutenait que la religion de l’avenir « devra être une religion de concorde et de joie, et travailler directement au perfectionnement de la vie présente, à l’opposition du christianisme qui a négligé cette mission. » Lange veut que la religion universelle soit à la fois celle des déshérités et celle des heureux de ce monde. Sans doute « dans notre christianisme actuel, les lamentations et l’affliction profonde sont l’état ordinaire des âmes, tandis que l’exaltation sereine et la joie du triomphe forment l’exception. Je voudrais renverser ce rapport, mais sans oublier pour cela qu’un voile de tristesse est étendu sur la vie. »

Quel sera le dogme fondamental de la religion ?

Elle devra réunir dans son culte à la fois l’humanité et Dieu, ébranler les cœurs par des émotions humaines, et par des invocations au divin et à l’éternel. Rien n’y convient mieux que le symbole du Dieu fait homme. « La passion tragique du fils de Dieu s’est, en effet, transmise des mystères de l’ancienne Grèce jusqu’aux enseignements religieux du protestantisme. C’est là un élément de la vie véritablement religieuse, et qui lui est plus essentiel que tout le reste. »

À ce compte, le christianisme devra constituer le fond de la religion de l’avenir. N’est-il pas encore la religion du plus grand nom-