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Charles richet.la douleur

Lorsqu’on est blessé par un instrument tranchant, la première sensation qu’on éprouve est une sensation de contact : en général, l’instrument tranchant étant en métal, une sensation de froid. Les poètes de l’antiquité ont décrit le froid glacial que fait une lame acérée plongeant dans la poitrine et cette observation est parfaitement juste : ce qu’on sent tout d’abord, c’est le fer qui paraît extrêmement froid, puis, au moment où l’incision est finie et où le bistouri sort, on a le sentiment d’une cruelle déchirure.

Ainsi, nous pouvons regarder comme démontré que pour la douleur, comme pour la perception, il faut un temps appréciable, et que la perception sensitive est en avance sur la sensation douloureuse.

Il semble qu’il y ait entre la perception sensitive et la douleur, le même rapport qu’entre la non-perception et la perception sensitive. Ainsi, nous avons montré plus haut que des courants électriques, fréquemment interrompus et répétés, éveillaient une perception que ces mêmes courants, isolés ou séparés par un long intervalle, étaient impuissants à produire. De même ces courants isolés assez forts pour être bien perçus, mais assez faibles pour n’être pas douloureux, deviennent très-douloureux, s’ils se succèdent avec une grande rapidité ; car leurs effets s’accumulent dans les centres nerveux pour produire une sensation très-forte.

Revenons à la formule citée plus haut :

Il semble que la douleur dépende uniquement de l’intensité de ,

c’est-à-dire de l’excès de sur . Or, cet excès de sur

peut s’exprimer très-clairement en disant que c’est un changement d’état des nerfs et des centres nerveux : plus l’excès est grand, plus le changement d’état est considérable, et par conséquent la douleur est produite toutes les fois qu’il y a un changement d’état considérable dans les nerfs. Ce n’est pas une simple question de mots que de comprendre ainsi la douleur ; car cette définition nous permet de bien concevoir l’utilité de la douleur. Il faut que l’organisme soit averti de l’état des organes : et il est nécessaire que tout changement d’état soit accompagné d’un avertissement pénible, douloureux, qui nous force à réagir contre la cause agissant ainsi. Or, chaque fois qu’un nerf change violemment d’état, il y a une perception sensitive forte et il y a douleur ; et en introduisant dans la formule les valeurs et qui indiquent le nombre des excitations et la durée de leur accumulation dans les centres nerveux, on n’a plus besoin de recourir à aucune autre donnée inconnue.