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nolen.le mécanisme de lange

son but rachète, par sa généralité et sa simplicité, ce qu’elle semble avoir de grossier, si on la compare aux procédés plus subtils de l’art humain. Quoi qu’il en soit, le monde actuel est bien un cas spécial entre une infinité d’autres, et par suite il comporte, dans l’ensemble, une explication téléologique. Mais que nous concevions le monde particulier des organismes, ou l’univers entier, ce grand organisme, comme les produits d’un art intelligent, cela ne nous apprend rien sur le détail des phénomènes, et ne fait pas que le mécanisme ne demeure la méthode exclusive de l’investigation scientifique.

Qu’on lise la pénétrante analyse du beau discours de Dubois-Reymond sur les limites de la connaissance scientifique, si l’on veut mesurer toute l’étendue du mécanisme. « S’appuyant sur une affirmation de Laplace, Dubois-Reymond démontre qu’un esprit qui connaîtrait, pour un espace de temps déterminé, même très-petit, la position et le mouvement de tous les atomes dans l’univers, serait en état d’en déduire, à l’aide des règles de la mécanique, tout l’avenir et le passé du monde. Il pourrait, par une application convenable de sa formule, nous dire qui était le masque de fer, où et comment périt le président Lincoln. Comme l’astronome prédit le jour, où, après bien des années, une comète doit reparaître à la voûte céleste des profondeurs de l’espace ; ainsi cet esprit lirait, marqué dans ses équations, le jour où la croix grecque brillera de nouveau au sommet de la mosquée de Sainte-Sophie, le jour où l’Angleterre brûlera son dernier morceau de coke… » Toutes les qualités (que nous prêtons à la matière) viennent des sens. Le mot de Moïse : « La lumière fut », est une erreur physiologique. La lumière ne fit son apparition que le jour où le premier point visuel rouge d’un infusoire fit, pour la première fois, la distinction du clair et de l’obscur… Muet et sombre en soi, c’est-à-dire sans aucune des propriétés qu’il doit à l’intermédiaire de l’organisme du sujet, tel est le monde que les recherches objectives de l’intuition mécanique nous ont révélé. À la place du son, de la lumière, la science ne connaît que les vibrations d’une matière primitive, dénuée de toute propriété, qui tantôt est pesante, tantôt échappe à toute pesée. »

La moindre infraction aux règles du mécanisme universel troublerait les calculs, dérangerait les équations. Spinoza disait plus énergiquement encore : « Un atome de matière anéanti, et le monde s’écroule. »

Il ne saurait donc pas plus y avoir de liberté que de finalité dans le monde du mouvement, parce que les lois du mouvement sont nécessaires, et que rien ne saurait les troubler.