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volonté avec ses penchants égoïstes, l’entendement qui garde le passé et prévoit l’avenir. On conçoit entre ces deux puissances en lutte un équilibre possible ; cet équilibre réalisé, l’homme est dans l’indifférence absolue. Il est donc libre dans le sens que nous avons donné à ce mot, c’est-à-dire qu’il n’est contraint par rien à l’action. La liberté ainsi conçue n’a aucune valeur morale, elle n’est qu’un état purement subjectif, tel que plusieurs actions sont également possibles. C’est à l’éducation qu’il appartient de compléter cette liberté de choix (Wahlfreiheit) par une capacité de choix (Wahlfähigkeit), d’assurer de plus en plus le triomphe de l’entendement sur la volonté égoïste, et de créer enfin la responsabilité morale, dont la liberté de choix n’est que la condition négative.

Ce qu’il y a de plus remarquable dans cet ouvrage, c’est l’essai hardi de trouver une solution nouvelle à un si vieux problème. L’auteur a-t-il réussi ? Il nous semble qu’il a plutôt ajouté un chapitre intéressant aux théories déterministes que prouvé la liberté. Ce qui nous intéresse avant tout, c’est de savoir si nous avons la puissance de nous transformer par un effort personnel et indépendant. De deux choses l’une : ou la volonté et l’entendement s’équilibrent comme deux forces naturelles, et alors la liberté n’existe pas, puisqu’il ne dépend pas de nous de prendre possession de nous-mêmes ; ou cet équilibre est réalisé par nous, et alors la liberté est antérieure à cet équilibre, puisqu’elle le réalise. L’auteur accepte, autant que nous l’avons compris, la première solution, il est donc déterministe, et il ne fait que donner une explication nouvelle et intéressante de l’illusion subjective qui nous fait croire au libre arbitre. — Nous opposerons les mêmes objections à sa théorie delà responsabilité morale. Pour que l’homme soit moralement responsable, il faut que son caractère soit son œuvre ; il faut qu’il puisse par lui-même, sans secours étranger, sans l’aide des hommes ni de Dieu, grâce au seul élan de sa liberté intérieure, concevoir un idéal et le réaliser. L’auteur fait dépendre la responsabilité de l’éducation : l’homme peut-il prendre l’initiative de son éducation morale, toute la question est là. M. Gœring se borne à dire avec Stuart Mill que nous pouvons modifier notre caractère, si nous le voulons, mais il ajoute avec le grand philosophe anglais ou plutôt il semble croire comme lui, car son expression n’a ni la même clarté ni la même franchise, « que le désir de modifier notre caractère est un résultat non de « nos propres efforts, mais de circonstances, que nous ne pouvons « empêcher. » (Stuart Mill, Logique, t. II, p. 424, éd. franc.) Nous ne cherchons pas de quel côté est la vérité, nous nous bornons à constater que l’auteur n’a pas renouvelé le problème de la liberté, puisqu’il ne l’a pas abordé.

G. Séailles.