Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
revue philosophique

même et comme le verdict du sens commun. Quand on vient à rencontrer de ces exemples de la loi mentale d’après laquelle une façon de nous représenter les choses qui nous est devenue familière, si opposée qu’elle soit à l’opinion commune, tend à prendre dans notre propre esprit, l’apparence de l’évidence, on ne devrait pas les rejeter comme des bizarreries d’un individu ; on devrait, au contraire, songer qu’il est très-probable que l’opinion commune elle-même, doit son évidence apparente à ce qu’on est bien plus familiarisé avec elle, et que souvent elle n’a pas rencontré l’obstacle, même en imagination, d’un fait qui la contredit.

La doctrine du premier ouvrage psychologique de Berkeley, l’Essai sur une nouvelle théorie de la vision, semble tout à fait affranchi d’immatérialisme, et l’est en effet ; la plupart des psychologistes venus plus tard, qui se sont élevés contre l’idéalisme, l’ont acceptée. Mais bien qu’il ait publié la théorie des perceptions acquises de la vue avant sa doctrine principale (une année avant seulement), il y avait dans son esprit un lien étroit entre ces deux théories. En effet, il se plaisait à se représenter les apparences visuelles de la perspective linéaire et aérienne, ainsi que les sensations musculaires qui accompagnent les mouvements du globe de l’œil, et qui, d’après une saine interprétation, nous informent de la distance et de la grandeur tangibles, il se plaisait à se les représenter sous la forme d’un langage dont Dieu se sert pour nous parler, et dont nous apprenons le sens, uniquement dérivé de sa volonté, non par instruction directe, mais par expérience. Or, l’idéalisme de Berkeley fut une extension de cette idée à la totalité de nos sensations corporelles. D’après lui, toutes ces sensations sont l’œuvre directe de Dieu, qui par sa puissance divine les imprime sur notre esprit sans l’intervention d’une substance extérieure passive, et qui a établi entre elles les relations constantes de coexistence et de succession dont nous avons besoin pour nous diriger dans la vie, relations qui nous suggèrent l’idée sans fondement qu’il y a hors de nous des objets autres que des intelligences ou des esprits. On pourrait voir dans la doctrine de l’Essai sur la Vision un premier pas vers ce système, et sans doute c’était pour elle un nouveau mérite aux yeux de Berkeley qu’elle cadrât si bien avec ce système ; mais en elle-même, elle repose sur des preuves qui lui sont propres, et se trouve également compatible avec l’une et l’autre des opinions qu’on peut soutenir au sujet de l’extériorité et de la substantialité de la nature physique. Aussi, reçut-elle l’adhésion à peu près unanime de philosophes des deux camps, jusqu’à nos jours, où l’on a fait des efforts malheureux pour la ruiner. Bon nombre de physio-